Difficile de sortir indemne du Liebestod d’Angélica Liddell. C’est aussi pour ça qu’on y va. Et pour certains qu’ils y retournent. Tandis que d’autres – étonnamment très peu – partent avant la fin. Supporter les allégories radicales de la metteuse en scène espagnole n’est pas à la portée de tous. Elles ne sont pourtant qu’une illustration, qu’un support du texte, monologue parfois hurlé qui bouscule souvent davantage que les tableaux humains – mais pas que – qui ponctuent le spectacle. Celui, inaugural, où un homme à la longue barbe, torse nu et en jupe, tenant une dizaine de chats en laisse, est de loin la moins perturbante. Pour nous mettre rapidement dans l’ambiance, Liddell, attablée avec un verre de vin rouge, se taillade les mains puis les jambes avant d’éponger son sang avec une tranche de pain qu’elle ingurgitera. Une image qui en dit long sur son obsession/admiration pour la mort. Celle-ci est présente tout au long des deux heures de cette pièce d’une densité autant visuelle qu’orale incroyable. Si Liebestod fait référence à l’air final d’Isolde dans l’opéra de Wagner, son interminable sous-titre évoque le torero Juan Belmonte, que l’artiste cite comme modèle d’audace et de prise de risque en réponse à la médiocrité du monde actuel qui la révulse. Quant au toro, celui du combat tauromachique, il est représenté à deux reprises sur le plateau. L’un, entier et sur pied, auquel elle semble prête à se donner ; l’autre, en deux demi-carcasses descendant du ciel, au milieu desquelles elle se glisse, un poignard à la main. Œuvre à la métaphore sacrificielle, Liebestod est aussi un manifeste plaçant l’art comme esthétique immorale au-dessus de tout discours politique ou social. Dans une de ses nombreuses diatribes contre le système, Angélica Liddell se désole d’une jeunesse qu’elle considère apathique parce qu’elle pense à défendre sa retraite plutôt qu’à véritablement faire exploser les conventions. Avant cela un cercueil, des nourrissons et une personne amputé du bras et de la jambe droites, moignons à l’air, sont passés sur scène. Provocations ? Pas dans l’esprit de l’artiste dont la principale motivation est de se libérer, et avec elle le public, de l’asservissement de la pensée. On a été servi.
LUDOVIC TOMAS
Liebestod a été joué du 9 au 11 février, à La Criée, théâtre national de Marseille.