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« Los Delincuentes », qu’est-ce qu’on attend pour être heureux !

Sélectionné au dernier Festival de Cannes (Un Certain Regard), Rodrigo Moreno offre dans ce film intelligent, ludique et optimiste, une ode à la liberté

Morán (Daniel Elías) est employé dans une banque de Buenos Aires. Célibataire de plus de quarante ans, sans perspectives, englué dans la routine dodo-métro-boulot, il prend soudain conscience (on comprendra bien plus tard pourquoi) qu’il perd sa vie à la gagner. Il décide donc de braquer sa banque. Non par cupidité ou folie des grandeurs mais par un simple calcul : il prendra la somme qu’il aurait dû percevoir jusqu’à sa retraite en une fois. Il y ajoutera une part destinée à dédommager un de ses collègues Román (Esteban Bigliardi), qu’il entraîne dans l’aventure. Il le charge de cacher le butin loin de la ville pour le récupérer à sa sortie de prison, puis se livre à la justice. Il estime sa peine à environ trois ans. Trois ans de taule contre le reste d’une vie de liberté. Pour lui, le compte est bon. Son complice adhère peu à peu à ce projet dément ou raisonnable – va savoir… Román abandonne sa femme et ses deux enfants pour trois jours, suit l’itinéraire que Morán lui a indiqué et qu’il a parcouru avant son délit. Román rencontre la belle et libre Norma (Margarita Molfino), sa sœur Morna (Cecilia Rainero) qui enregistre le bruit des herbes dans le vent, et Ramón (Javier Zoro Sutton) qui tourne un documentaire sur les jardins. Loin de son quotidien, il découvre comme Morán avant lui, une liberté qu’il ne s’autorisait plus.

A partir ce synopsis, on aurait pu imaginer un film de prison, de cavale comme il y en a tant. Puis un drame de trahison et de vengeance. Mais Los Delincuentes déjoue ces attentes. Le braquage s’inscrit dans le protocole quotidien de l’établissement bancaire, en silence et sans violence. L’enquête menée par une redoutable agente de la compagnie d’assurance, se fait en interne. Pas de poursuite spectaculaire. De filature angoissante. Pas de drame, pas de mort. Seule la prison reprend les motifs habituels, sans s’y appesantir fort heureusement. Quelques références au thema « voleurs au cinéma » jalonnent le scénario : un extrait de L’Argent de Robert Bresson, et quelques fausses pistes plutôt drôles.

… j’écris ton nom

Le crime, ici, c’est imaginer une autre vie inscrite dans un temps à soi, échapper à l’aliénation d’un travail alimentaire, trouver plaisir à vivre. Un côté anar à la Georges Darien, subversif mais individualiste.

Le réalisateur épouse le rêve de son anti-héros principal : élargir le champ pour prendre la poudre d’escampette. On passe des plans serrés et de l’espace clos des appartements, des locaux cadenassés des geôles ou de la banque, aux plans larges sublimant une campagne argentine idyllique sans clôtures. Les travellings verticaux ou horizontaux balayant le centre urbain, suivant le flux de la foule ou le surplombant, laissent place aux plans fixes, picturaux d’un déjeuner sur l’herbe près de la rivière ou à des panoramiques de western. Déclinant l’opposition initiatrice du scénario, « obéir/se rebeller », la mise en scène ne cesse de jouer sur la dichotomie : ville/campagne, Buenos Aires/Córdoba, intérieurs oppressifs badigeonnés de marron/extérieurs ouverts à tous les possibles, saturés de lumière. Split-screens pour réunir  espaces et temps. Tout devient indice dans ce jeu de piste de trois heures où on ne s’ennuie jamais. L’énigmatique scène initiale dans laquelle une cliente se voit refuser l’encaissement d’un chèque car elle a la même signature qu’un autre client de la banque, ne trouvera sens que plus tard.

Le vinyle des Pappo’s Blues, groupe de rock argentin, élément de la superbe BO – aux côtés de Bach, Camille Saint-Saëns, Francis Poulenc et Astor Piazzola, deviendra un objet transitionnel inattendu.

Le jeu oral pratiqué par Roman et ses compagnons de chemin, qui consiste à enchainer le nom de villes en prenant comme initiale la dernière lettre de celle citée précédemment, ne fera écho qu’après la fin du film. Tout comme le poème de Ricardo Zelarayan, La Gran Salina découvert en prison par Morán

Avec les cinq lettres du mot roman, Rodriguo Moreno (dont les initiales reprennent le R de Román et le M de Morán) nomme ses personnages par anagrammes : Morán, Román, Norma, Morna, Ramón. Des personnages et un auteur, en quête de liberté.

La fin reste ouverte sur les paysages de Córdoba tandis qu’on entend la voix de Pappo, comme une invitation à la chasse au trésor :

C’est impossible de résister
Jamais nous n’avons été dans une si mauvaise passe
Où l’ont-ils mise la liberté ?

ÉLISE PADOVANI

Los Delincuentes, de Rodrigo Moreno 
En salles le 27 mars

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