On le pense encore parisianiste, snob et sinistre, mais c’est à un cinéma généreux, modeste et assez hilarant que Louis Garrel nous invite avec L’Innocent. L’acteur ayant fait ses armes chez Christophe Honoré, Valeria Bruni-Tedeschi ou encore son père Philippe Garrel prend, depuis son passage derrière la caméra, un malin plaisir à malmener son image. Et il faut admettre que ce quatrième long-métrage, fort d’une photographie chamarrée signée Julien Poupard, n’a plus grand-chose de la grisaille des Chansons d’amour. Les terrasses de café embrumées ont cédé la place à Lyon et à sa périphérie et les ritournelles mélancoliques d’Alex Beaupain à Catherine Lara et Herbert Léonard. Il fallait bien cette « variété 100% premier degré » souhaitée par le réalisateur pour dépeindre un remariage peu commun : celui de la trop rare Anouk Grinberg et d’un Roschdy Zem plus tendre et drôle qu’à l’accoutumée. L’histoire semble plus que saugrenue mais s’inspire pourtant du vécu de Garrel soit l’union de sa mère, actrice et intervenante en milieu pénitentiaire, et d’un détenu, officiée au sein même de la prison.
Abracadabrant
Face à ce torrent de bonheur conjugal et d’insouciance adolescente confinant à l’inconséquence, Garrel incarne un fils bien trop raisonnable et rigide pour être honnête. Issu de cette génération d’enfants de soixante-huitards « contraints de devenir les pères de leur propre mère », le comédien ne se montre guère tendre envers ce penchant pour l’inhibition. Et c’est avec un plaisir manifeste qu’il s’efface pour mieux laisser briller ses personnages plus solaires, et en premier lieu les féminins. Anouk Grinberg se révèle particulièrement juste et attachante ; et Noémie Merlant plus pétillante que d’ordinaire. Roschdy Zem livre quant à lui une partition toute en nuances et séduction, secondé par un étonnant Jean-Claude Pautot dans le rôle de son camarade de méfait. L’ex-figure du grand banditisme donne corps sans peine au braquage abracadabrant qui s’organise en dépit de tout bon sens. Le scénario, conçu par Garrel mais également par le romancier Tanguy Viel et la réalisatrice Naïla Guiguet, est d’une précision et d’une cohérence rares. Il n’en convoque pas moins des obsessions devenues la marque de fabrique du réalisateur parmi lesquelles, au premier chef, l’amour comme la peur panique de la liberté.
SUZANNE CANESSA
L’Innocent de Louis Garrel
Sorti le 12 octobre