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Maguy Marin : « Les gens ont décidé de ne plus subir »

À 71 ans, Maguy Marin reste une artiste emblématique de la scène chorégraphique française et internationale. Créée en 2004, sa pièce "Umwelt" était de passage au zef

Zébuline. Pourquoi avoir choisi de donner une nouvelle vie à Umwelt, presque vingt ans après sa création ?
Maguy Marin. Parce qu’il y a eu de la demande. Des programmateurs avaient envie de revoir et rediffuser cette pièce. Peut-être parce qu’elle a marqué quelque chose à un moment donné. Mais à sa création en 2004, elle a été reçue avec beaucoup de difficultés de la part du public. Et les programmateurs travaillant en fonction des goûts du public, au début, elle n’a pratiquement pas tourné. Malgré quelques très très bonnes critiques. J’ai été soutenue par une poignée de personnes qui ont eu du courage et m’ont permis de la jouer.

Comment expliquez-vous le mauvais accueil du public à l’époque ?
Beaucoup de gens ont été déstabilisés parce que c’est une pièce dans laquelle il n’y a pas d’événements, pas de déroulé, pas de chronologie. Il n’y a pas d’histoire en fait. C’est une seule et lente chose qui se répète indéfiniment, avec des petites variations. C’est comme quand on regarde la mer : c’est toujours la mer. Mais elle est fascinante parce que tout change tout le temps : la couleur, les vagues, les effets du vent… Unwelt est une pièce sur la violence du monde mais il faut être patient pour la voir.

Est-ce toujours le mot chorégraphe qui définit le mieux votre travail actuellement ?
Ça dépend ce qu’on entend par chorégraphe. Si c’est quelqu’un qui met des corps dans l’espace et dans le temps, oui, je suis chorégraphe, bien sûr.

Allez-vous voir des spectacles de danse ?
De temps en temps, mais on ne peut pas dire que je sois une fervente des spectacles de danse. Pour moi, la question n’est pas de savoir si c’est de la danse ou pas, c’est la qualité qui m’intéresse. Il faut que ce soit un travail singulier, qui ne se répète pas de pièce en pièce, qui ne copie pas les uns et les autres, qui est en dehors de l’air du temps.

Trouvez-vous votre bonheur dans la génération actuelle ?
Oui. Ce ne sont peut-être pas des chorégraphes comme les gens l’entendent mais des artistes qui viennent du théâtre, des arts plastiques, de la musique ou du cirque. J’ai toujours aimé le brassage des arts de la scène. Dernièrement, j’ai vu par exemple le travail de Flora Détraz au Théâtre de la Croix-Rousse, [la pièce Glottis, ndlr].


Votre dernière pièce, Y aller voir de plus près (2021), puise dans La Guerre du Péloponnèse de Thucydide. En 2009, déjà, vous vous empariez de textes épiques avec Description d’un combat. La guerre est-elle quelque chose qui vous hante ?
Ça peut être une préoccupation pour un artiste. On a intérêt à se pencher un peu dessus parce que le jour où elle va nous tomber sur la figure…

Vous considérez-vous comme pacifiste ?
Ça dépend qui j’ai en face. A priori, je n’ai pas envie de taper sur quelqu’un. Mais si les injustices sont trop criantes, si on a des gens comme Le Pen, Zemmour… là, je ne suis plus du tout pacifiste.

Vous êtes une artiste qui n’a jamais mis ses valeurs progressistes en sourdine. La France de 2023 est-elle pour vous un modèle de démocratie et de justice sociale ?
Pas du tout. Et au contraire. On vit une régression sanglante. Ce que l’on vit est terrible. Tout est remis en question, toutes les luttes sociales gagnées à l’après-guerre, la liberté des femmes, l’IVG… Mais une parole est en train de se libérer sur ce que les femmes n’ont plus envie d’accepter. Et j’espère bien que cela va continuer à s’étendre à toutes les personnes qui ont encaissé pas mal de choses et qui aujourd’hui décident de ne plus se laisser faire. Cela va prendre du temps pour sortir des moules mais au moins les gens ont décidé de ne plus subir. On le voit bien pour les retraites.

À ce propos, que représente pour vous le 8 mars ?
J’y mets toutes les rages sociales accumulées depuis des dizaines d’années. Tout ce qui tend à libérer les personnes, femmes ou hommes, de carcans, d’humiliations et de soumissions qu’on leur impose, me réjouit beaucoup. Il faut qu’on relève la tête et c’est ce qui est en train de se passer.

Quels sont vos projets ?
Au mois d’avril, je vais travailler avec des amateurs à La Comédie Saint-Étienne puis à l’automne, je vais préparer une création avec ma compagnie.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS

Umwelt, de Maguy Marin s'est joué les 8 et 9 mars au Zef, Marseille
lezef.org
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