Nombreuses sont les scènes de retrouvailles, de retour au berceau familial qui marquent l’entrée en matière d’un film. Celle qui nous présente, après une pudique marche à cheval, à La Fille d’Albino Rodrigue,saisit par sa singularité. On y suit les pas timides de la décidément fascinante Gallatéa Bellugi dans une maison étrangement vide. Celle-ci, comprend-on vite, est celle de ses parents mais n’est déjà plus la sienne. Comme son frère – émouvant Matthieu Luci –, Rosemay grandit désormais dans une famille d’accueil, et ne rend visite à ses parents biologiques qu’au fil de rares vacances.
On comprend vite également que, non content d’avoir oublié de venir la chercher à la gare, son père ne semble pas décidé à donner signe de vie, ou à ressurgir pour répondre aux questions qui s’imposent. Pour tenter de le retrouver, ou de comprendre ce qui a pu mener à sa disparition, elle ne se heurte qu’à d’évasives réponses et à de peu éloquents haussements d’épaule de sa mère. Cette mère insondable a les traits et l’ingénue incongruité d’Émilie Dequenne, comédienne somme toute passionnante. La Fille d’Albino Rodrigue ne la scrutera jamais outre-mesure, et ne répondra pas non plus aux questions en suspens comme un polar pur jus. Le fil que le long métrage s’attellera à dérouler, avec délicatesse et pertinence, étant avant tout le développement du beau personnage de Rosemay, qui apprend, notamment au contact de sa famille d’accueil – impeccables Romane Bohringer et Samir Guesmi – à prendre confiance en son propre regard.
Un retour remarquable
Christine Dory n’avait pas signé de long métrage depuis sa première incursion dans le genre : très remarqué en 2008, Les Inséparables avait séduit par sa finesse et sa profondeur. La Fille d’Albino Rodrigue évolue loin du milieu qui nouait, autour d’addictions en tous genres, l’idylle malheureuse de Marie Vialle et Guillaume Depardieu. La réalisatrice, également scénariste, notamment pour Mathieu Amalric, a pris son temps pour concevoir et tourner ce film beau et troublant, prenant place dans un de ces « vides culturels » que comporte le Grand Est. L’inquiétude s’y fait diffuse, et la violence silencieuse. Le langage y demeure lui aussi opaque. Celui de la mère, percé de mensonges et omissions ordinaires et d’éléments de langage sortis tous droit de récits à l’eau de rose, n’ouvre que sur du vide. La parole, plus rare, de Rosemay, empêchée par ses difficultés d’écriture, se révèle la seule apte à dire l’impensable.
SUZANNE CANESSA
La Fille d’Albino Rodrigue, de Christine Dory En salle depuis le 10 mai