Ce Marius de Pommerat a une histoire, dont les représentations à Marseille semblent l’aboutissement. Créée à la Maison centrale d’Arles par des détenus longues peines, jouée ensuite en centres pénitentiaires et maisons d’arrêts devant des publics mixtes, puis recréé au Festival d’Automne (Île-de-France) en 2024, c’est la première fois qu’il était joué à Marseille – hors Baumettes – dans une ville si marquée par l’imaginaire de la Trilogie marseillaise des années 1930.
Dès la première représentation, l’univers si étouffant de la centrale – avec ses grilles successives, ses contrôles, l’étroitesse des espaces et leur gris persistant – transfigurait le message de Pagnol : le sentiment d’enfermement de Marius, son désir de s’échapper et de voir le monde y apparaissaient avec une âpreté évidente, et terriblement émouvante. Qu’allait-il en être hors des murs carcéraux, dans les limites presque imaginaires d’un théâtre ?
Pagnol s’évade
Les anciens détenus devenus libres, et comédiens, gardent dans leur présence l’expérience sensible de la prison. Quand Marius (Michel Galera) avoue enfin à Fanny qu’il l’aime mais ne veut pas s’engager, parce qu’il veut quitter la boutique de son père, c’est de l’angoisse pure qui surgit, et fait comprendre cet impérieux désir du large. Lorsque Piquoiseau (Redwane Rajel) vient proposer en douce à Marius de s’engager, ce sont d’autres deals qui se suggèrent. Quant à César (Jean Ruimi) il est, depuis Arles, l’incarnation même d’un destin contraint, d’une perte sensible, n’osant dire ses sentiments qu’après des actes autoritaires répétés, comme un être qui aurait intériorisé jusqu’à la lie la punition.
Cette régénération du texte de Pagnol n’est possible que par la cohérence de la compagnie autour du propos, le travail du son qui permet d’entendre les murmures intimes et la subtilité de tous les comédiens. Fanny (Elise Douyère) est une fille de notre temps qui refuse d’enfermer celui qu’elle aime même si elle en souffre. Les histoires de filles perdues et de maîtresse cachée sont judicieusement évacuées et Panisse, divorcé avare, n’est qu’un pervers qui veut se taper une jeunesse. Marius, sans les deux autres volets de la trilogie, retrouve sa dimension de tragédie antique, confrontation sans issue entre des désirs légitimes.
AGNÈS FRESCHEL
Marius a été joué au Zef, Scène nationale de Marseille, du 8 au 11 janvier, dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre du Gymnase.