Elle est sans conteste une des artistes dramatiques les plus importantes, émouvantes, singulières de la scène européenne. Le principe de son Tango est d’une extrême simplicité. Une femme, vieille, allume les lumières, rejoue le théâtre de sa vie, fait surgir d’une malle ses souvenirs et d’une autre celle du souvenir de son amant, son amour, le compagnon de sa vie.
Guidés par la musique, variété italienne des années 60 et 70 qui a su être pop sans passer par l’anglais, les deux amants retournent en arrière, vers des souvenirs anciens et précieux. Ceux de leur rencontre, de leur déclaration d’amour, de la naissance de leur enfant, de soirées de fête et d’ivresse. Des gestes de désir, de plaisir, d’amour, passionné, de quotidien aussi, de scènes de disputes taquines, la plupart du temps muettes et dansées, parfois dialoguées, comme le très beau moment où il déclare son amour sur la plage qu’on devine.
Entre chacun de ces souvenirs la vieillesse resurgit, le corps de la femme (Manuella Lo Sicco) se plie, celui de l’homme (Sabino Civilleri) se raidit, et les scènes extraites des malles du souvenir s’enfouissent dans l’épaisseur du temps. Les accès de toux irrépressibles, la boite de pilules à laquelle ils s’accrochent, le geste compulsif d’une jambe qui s’agite, le mouchoir dans laquelle elle se mouche puis qu’elle ouvre pour montrer à son amant ce qu’elle vient d’expulser, tout cela se décline, à chaque fois, comme un rappel de la fin de la vie qui approche, drôle et tragique en même temps.
Dernier acte
« Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste, on jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais. », écrivait Pascal dans une de ses Pensées les plus tragiques. La comédie a été belle, même si on ne sait pas très bien à quel moment exact de leur amour l’homme a disparu, jusqu’où ils ont été un couple réel, et quand elle a commencé à imaginer sa présence auprès d’elle, à allumer les lumières, à rouvrir les malles. Une scène où, encore jeune, elle le soigne, le rassérène, le porte comme un enfant vers un lit d’inconscience, suggère qu’il est peut-être mort depuis longtemps, et que depuis longtemps seul son fantôme raide se déplace à ses côtés. Mais avant d’éteindre les lumières et même si la mort est proche, elle sait et rappelle que la vie a été belle, l’amour a été là, nourri de chansons populaires, de bal, de plage et de liberté.
AGNÈS FRESCHEL
Il tango delle capinere d'Emma Dante Les 9 et 10 janvier Le ZEF, Scène Nationale de Marseille www.lezef.org