mercredi 2 octobre 2024
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Mozart sans sel

L’Opéra de Marseille reprend une production remarquée en 2019 des Noces de Figaro sans en retrouver la saveur, malgré de très belles voix au plateau

C’était il y a cinq ans, il y a un siècle. Jean-Claude Gaudin était maire de « son » opéra, le Covid et ses confinements n’étaient pas passés par là, les 1200 sièges de la place Reyer se clairsemaient souvent et peinaient à rajeunir leurs occupants. Dans ce contexte la dispendieuse production de l’opéra, jamais programmée ailleurs qu’en ses murs, semblait bien plus moderne et inventive, par ses décors enchâssés, ses scènes de chasse et ses chœurs enturbannés, que bien des productions précédentes, moins audacieuses. Mais on n’y percevait pas la révolte sociale de Figaro, qui n’était vêtue ni du rouge de la révolution ni du récent jaune des Gilets, et disparaissait dans l’obscurité chaude des décors et costumes voulus par le metteur en scène Vincent Boussard. Surtout, #Me too  n’était pas encore passé par l’opéra, et l’adaptation de La folle journée de Beaumarchais pouvait passer sans qu’on y remarque la violence exercée sur les corps féminins, de la Comtesse à Marceline ; la solidarité interclasse des femmes est fondatrice du livret de Da Ponte, le profond désespoir de Barbarine qui semble avoir perdu, entre le bras de Chérubin bien plus qu’une épingle, sonne comme le chant d’une jeune fille abusée.

Ombres insensées

Après le Covid et #Me too, devant un public rajeuni et renouvelé, comment se reçoit cette reprise ? On admire la voix et la présence d’Eléanore Pancrazi dans Chérubin, on s’émeut de la grâce absolue des déplorations de la Comtesse – incarnée à nouveau par Patrizia Ciofi, merveilleuse dans ses arias, mais très gênée par le voile constant qui couvre ses graves dans les récitatifs. Hélène Carpentier incarne à merveille une Suzanne qui prend de l’assurance au fil de la pièce et Robert Gleadow (Figaro), même s’il rate un peu les aigus de son premier air, habite la scène de sa présence massive. Jean-Sébastien Bou (le comte Almaviva) passe son air de bravoure avec panache, mais dans l’ensemble les voix d’hommes peinent un peu à se faire entendre. Peut-être parce que le propos n’est pas clair ? Lorsque Figaro chante « si tu veux danser, mon petit comte », comment pousser ses « Si » aigus si sa révolte se perd dans les couleurs ternes du décor, et les chœurs décadents et noirs qui tournent autour de lui, l’observent et le manipulent ? Quel est le sens de toutes ces ombres ?

Décalages

Cette hésitation sur le sens semble aussi habiter l’orchestre qui a du mal à régler son rapport au plateau, décale légèrement, surtout quand les chœurs chantent depuis les balcons. Les ensembles se croisent dans le flou au lieu de dessiner des lignes franches, et on perd un peu du sens musical si particulier des fins d’actes de Mozart, où les individus mêlent leurs voix intérieures à celles du peuple qu’incarnent les chœurs. L’évidente clarté de la musique, du livret de Da Ponte/Beaumarchais, de leur propos révolutionnaire et féministe, de la joie des bons mots et du jeu, est escamoté.

Reste que l’œuvre, indestructible, résiste à ces petits obstacles, portée par des solistes et des musiciens d’exception. Comme un plat fabuleux auquel il manque juste quelques grains de sel.

AGNÈS FRESCHEL

Les Noces de Figaro ont été reprises à l’Opéra de Marseille les 24, 26, 28 et 30 avril
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3 mai
Opéra de Marseille
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