Nicole Ferroni, assise derrière une table sur le devant de la scène, s’échauffe tranquillement, en proposant son aide pour mettre en contact les célibataires dans la salle, se demandant si elle a le trac ou si elle a faim, avouant attendre un signe discret de la régie pour commencer le spectacle. Le voici. Introduction en forme d’avertissement : « Si vous êtes venu·e·s me voir pour mes ex-chroniques politiques humoristiques radiophoniques, attention, ce soir, c’est pas pareil ! Il s’agit de poésie et de Marseille ! » C’est Dominique Bluzet, directeur des Théâtres, qui lui a demandé, au moment de la fermeture du Théâtre du Gymnase pour travaux, à elle, ex-chroniqueuse de France Inter, d’aller « semer de la poésie » dans les bars de Marseille. Sans blague ! Et bien, chiche ! C’est au printemps 2022 qu’elle a semé ici et là, autour de quelques comptoirs, en quelques formes courtes, ses vers, écrits par elle ou par d’autres. Et ce soir, aux Bernardines, c’est l’intégrale.
« Hé DJ, mets-nous donc des femmes »
Poésie et Marseille d’accord, mais avec Ferroni c’est aussi Femmes ! L’humoriste s’en donne à cœur joie, et passe au filtre de sa lecture féministe quelques pépites textuelles et musicales patrimoniales : l’opéra Gyptis et Protis (1890) de Boniface et Bodin, interprétation du mythe fondateur de la ville, ambiance gauloise et patriarcale, dont elle joue quelques extraits à sa façon. Je danse le Mia d’IAM, qu’elle chante en le gratifiant d’un « Je te propose un voyage dans le genre, pour danser le miaou » ou d’un « Hé DJ mets nous donc des femmes ». Ou encore Bande organisée avec un « pourquoi niquer quand on peut faire mieux ! ».
Ce sera façon rap également qu’elle rendra hommage à Louise Michel en slamant Les œuillets rouges, l’une des femmes rebelles et d’écriture liée à Marseille, qu’elle évoque parmi d’autres : la poétesse du XVIe siècle Marseille d’Altovitis, Olympe Audouard, romancière et journaliste du XIXe siècle qui écrira Guerre aux hommes, ou encore Simone de Beauvoir. Avec habileté, entre jeux de mots et caricatures plus ou moins faciles, vulgarités jubilatoires (« Malheureuse est la pachole dont le mari est un pacha »), passant parfois imperceptiblement d’un registre comique à un registre dramatique et inversement, l’ex-chroniqueuse, jamais méprisante pour les personnages qu’elle croque, décale les regards et fait passer ses messages féministes en toute bienveillance et férocité. Sur Marseille, autre grand objet poétique, elle évoquera à travers quelques vers de son cru le « grand remplacement », celui des classes populaires par les bobos (« je le sais, parce que j’en suis »), ou encore avec un humour amer les tragédies des règlements de comptes. Pour terminer par un hommage à la Bonne Mère, et à la cagole. Car voilà un genre de femme qui ne s’en laisse pas conter : « De ton sguègue je fais une tapenade ! ».
MARC VOIRY
Spectacle donné jusqu’au 25 novembre au Théâtre des Bernardines, Marseille.