Un événement
On connaît peu Anders Lustgarten en France, dramaturge multiprimé en Angleterre, auteur de Lampedusa. Trois enterrements est son premier roman. Il se lit comme un polar, très noir, mais semble ne rien inventer. Ses péripéties, atroces et tragiques, prennent naissance dans les tourments de nos sociétés capitalistes malades, dans le réel de ceux qui tentent la traversée de Calais vers Londres, de ceux qui vivent clandestinement en Angleterre, et des Noirs anglais qui subissent un racisme installé et violent, jusqu’au crime, au suicide.
En France, depuis le Brexit, on a un peu oublié l’Angleterre, notre sœur ennemie. Notre alliée, si proche, que son histoire était un peu la nôtre, jusqu’à ce qu’elle se détache de l’Europe. La violence de Trois enterrements nous projette dans une société anglaise (dystopique ?) qui n’est pas (encore ?) tout à fait la nôtre, et dans laquelle des officiers de police néonazis organisent des meurtres de migrants en mer, et des tabassages en règles de demandeurs d’asile.
Road movie vers l’émeute
Andres Lustgarten n’épargne au lecteur ni les dangers de la traversée de la Manche, ni les violences subies durant le parcours, ni l’horreur des camps de rétention anglais, ni le racisme insupportablement ordinaire des profs, des flics, des surveillants, des infirmiers. Mais il écrit aussi un road movie féministe en référence explicite à Thelma et Louise ; très drôle par moments, avec ses accumulations macabres et sa férocité, et d’une liberté revigorante.

Percutant dans ses analyses sociales anticapitalistes, postcovid et décoloniales, mais aussi dans sa description, fulgurante, des difficultés relationnelles entre parents et ados, et du rapport ambigu des adultes à leur propre jeunesse.
Chaque partie est construite comme un acte, et chaque chapitre comme une scène où se succèdent les points de vue des divers personnages qui traversent l’histoire : Omar et Abdi Bile les migrants, Barrat et Jakubiak les policiers, Michaël le légiste et Cherry l’infirmière, Robert et Danielle, Asha et Marwa, d’autres protagonistes de passage. De Cherry l’héroïne à Radka quittée trop vite, chacun d’entre eux est passionnant, épais comme un personnage de théâtre, rendu de l’intérieur de sa conscience ou de l’extérieur de ses actes, rencontré et quittéau long d’une route qui se finira par une émeute, révolte générale des racisés et des opprimés. Et une fuite ouverte des femmes vers un avenir possible ?
Trois enterrements, de Anders Lustgarten
Traduit de l’anglais par Claro
Actes Sud
Parution le 3 septembre
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