La minorité n’est pas une essence mais une condition sociale qui nous guette tous, explique Juliette Speranza dans un essai lumineux
Philosophe, fondatrice de l’association La Neurodiversité France, Juliette Speranza s’appuie sur ses recherches concernant les normes scolaires et les minorités pour développer sa thèse. La minorité résulte d’une organisation sociale qui décide, arbitrairement, de hiérarchiser les existences. Nous sommes donc tous potentiellement des minoritaires. Ce qui ne signifie pas être intrinsèquement différent mais simplement se trouver dans une position de victime d’une domination sociale. Un homme blanc, valide et hétérosexuel peut devenir minoritaire s’il vieillit, s’il tombe malade, s’il prend du poids, s’il change de pays. La condition minoritaire est fluide, mouvante, contextuelle. Si nous sommes tous minoritaires en puissance, haïr les minorités revient à se haïr soi-même.
Ils témoignent
Juliette Speranza est allée à la rencontre de ces « minorisés » : personnes grosses, racisées, handicapées, vieilles, transgenres, musulmanes. Leurs récits donnent chair à ce que la philosophe appelle l’oppression minoritaire. Gabrielle, victime de grossophobie, a vécu des années de moqueries, d’injonctions à maigrir. Le regard social l’a réduite à son corps, niant son intelligence, son humanité. Au point qu’elle avait planifié son suicide pour le 30 juin 2016. D’autres racontent le racisme quotidien, les contrôles au faciès. Des personnes handicapées témoignent de l’inaccessibilité des lieux publics. Des personnes transgenres partagent leur combat pour la reconnaissance de leur identité, les violences médicales et administratives qu’elles subissent. Autant d’histoires qui montrent que les revendications minoritaires relèvent de survie, de dignité, d’accès aux soins, à l’éducation, à l’emploi.
La honte change de camp
L’ouvrage décrit la prise de conscience minoritaire. Des individus isolés finissent par identifier leur exclusion comme un phénomène collectif. Ils passent de la honte individuelle à la compréhension politique de leur situation. De victimes passives, les « minorités » deviennent des acteurs politiques qui transforment la société. Pour l’autrice, ces minorités seraient un moteur pour la démocratie. Quand une minorité émerge, elle force la majorité à questionner ce qui semblait « normal », « naturel ». Elle révèle que l’égalité proclamée était fictive. Une société qui accueille l’expression minoritaire se transforme, s’enrichit, devient plus juste. Speranza convoque à sa démonstration des philosophes et des sociologues. C’est brillant, limpide, vivifiant.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Nous sommes tous des minorités de Juliette Speranza
Éditions du Faubourg - 20 €