Un programme chorégraphique constitué de la reprise de deux pièces historiques du répertoire d’Angelin Preljocaj et d’une troisième plus récente. Annonciation, duo féminin de 1995, interroge le moment sacré de l’Immaculée Conception. La musique de Vivaldi mêlée à une partition électronique en renforce l’intensité. Noces, créée six ans plus tôt, fait référence à un rituel nuptial et funèbre. Cinq hommes et cinq femmes en opposition se déchaînent sans modération sur la musique de Stravinsky. Enfin, créé en 2023 pour douze danseurs, Torpeur est une exploration chorégraphique de différents états de corps : sidération, prostration, mais aussi sensualité, grâce languissante, …
Intemporelle incarnation
Donné en préambule Annonciation revêt, grâce au renouveau de ses interprètes, de nouveaux traits. Une complicité inédite semble opérer dans ce duo incarnant Marie et l’archange. Contraintes d’œuvrer ensemble pour une force que l’on désigne en pointant vers le haut, dans ce goût du geste devenu signe emprunté au Trecento et déployé sur le registre du théâtre dansé, les deux femmes nouent une complicité émouvante car résignée. Complicité qui demeurera le fil rouge de cette trilogie où les corps des femmes, leur capacité d’engendrement mais aussi leur objectification se verront savamment scrutés.
Torpeur, création de 2023 conçue donc vingt-huit ans après ce duo canonique, déploie un effectif et des modalités d’interaction démultipliés. On se croirait, durant les premières minutes, revenus à une danse minimaliste proche de Lucinda Childs, scandée par les pulsations rassurantes d’une musique joyeusement répétitive dont les corps s’emparent avec frénésie. La danse lorgne aujourd’hui vers la désarticulation, le saccadé, la rétrogradation ? Qu’à cela ne tienne, semble répondre Angelin Preljocaj : les battements s’espacent, les gestes s’étirent, et les corps s’alanguissent. Si bien qu’il semble que ce sont eux qui imposent à une musique flottante leur propre rythme, et non pas celle-ci qui leur dicte quand et comment faire battre leurs cœurs. Les douze danseurs et danseuses se rapprochent, s’explorent dans un mouvement inédit de sensualité. Exit les pas-de-deux délimitant hommes et femmes : c’est presque uniquement en trios, puis entre hommes et femmes que tous s’unissent et s’accompagnent, comme les corps exultants dans le récent et tout aussi réjouissant Deleuze/Hendrix.
Le rapt des mariées
On revient en fin de spectacle en 1989, année où le chorégraphe s’imposa comme une voix majeure de la danse contemporaine. Les Noces de Stravinsky avaient un peu voyagé, de la Russie paysanne du compositeur aux Balkans des origines de Preljocaj.
Ces images ont la saveur inaltérée du cauchemar : une fois de plus, ce sont les yeux bandés que les jeunes mariées avanceront vers leur destin. Elles auront eu beau échanger regards entendus, caresses chaleureuses, quitte à s’emparer elles-mêmes de dociles poupées de chiffon, elles sortiront éternelles perdantes d’un jeu joué d’avance. Engoncés dans des costumes cravates soulignant leur air juvénile, les hommes semblent à peine moins perdus. On croirait pourtant presque, le temps de ces sauts du haut de bancs d’école, où les femmes s’élancent, tournoyant comme des toupies, qu’un autre monde, qu’un envol est possible.
SUZANNE CANESSA
Annonciation, Torpeur, Noces
5 et 6 décembre
Théâtre de Nîmes
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