Il y a des spectacles intenses, qui tout de suite nous accrochent et nous entraînent dans un tourbillon d’émotions et de sensations. Et puis il y en a d’autres qui nous emportent, mais plus doucement, nous bercent et nous ouvrent à d’autres réalités. C’est de ceux-là qu’est Austerlitz, de la chorégraphe Gaëlle Bourges.
Une voix off d’abord, raconte les premiers contacts de la narratrice avec la danse. Un spectacle, quand elle avait cinq ans, dans lequel elle devait bercer un poupon en plastique. Elle dit son amour immédiat pour la scène, et puis révèle qu’elle n’a jamais pu avoir d’enfant, que son ventre n’en accepte pas. « Plus tard, j’ai eu d’autres enfants, des enfants imaginaires, mais ça je ne peux pas vous en parler, c’est un secret ».
Son récit est accompagné de diapositives, projetées sur un petit écran blanc, sur la gauche du mur derrière la scène. Apparaissent sur le plateau les interprètes derrières un autre écran, transparent cette fois, et vêtus de costumes divers – habits de la Renaissance, justaucorps… un par un, ils se détachent du groupe puis y reviennent, tandis que des voix diffusées par les haut-parleurs s’adonnent à un énigmatique comptage, un, deux, six, deux-mille.
Tout au long de la pièce, la lumière se coupe et se rallume, faisant apparaître un nouveau tableau, disparaître certains personnages. Séparés du public par l’écran transparent, les interprètes semblent eux-mêmes peupler des diapositives comme celles projetées derrière la scène. Cette impression est amplifiée par les paroles, les voix pré-enregistrées sur la bande-son. Ils accompagnent celle de la narratrice de façon plus ou moins littérale, mêlant imitation de chorégraphies de grands danseurs américains, polka et longues traversées. Par moment, à cause de la diversité des costumes, le spectacle ressemble à un gala de danse d’enfants, comme celui dont parle la narratrice au début. Peut-être est-ce eux, ses enfants imaginaires ?
Une mémoire collective
La narratrice déroule le récit de sa vie, et celles des personnes qu’elle rencontre. Elle navigue entre les lieux et les époques où parfois les expériences, les passions ou les traumatismes des différents protagonistes se recoupent. Cette autobiographie collective rencontre l’histoire, les génocides des Juifs ou des Amérindiens, les guerres coloniales, l’esclavage. Et puis l’histoire de l’art et de la danse, du chorégraphe Steve Paxton à la vie en clinique psychiatrique d’Aby Warburg, en passant par les spectacles de Buffalo Bill et le film Le Bonheur d’Agnès Varda.
Elle raconte aussi ses rêves, et fait transparaître dans son récit la genèse du spectacle, révélant au fur et à mesure le sens énigmatique du titre.
On ressort abasourdi de cette longue ballade à travers les ruines d’une mémoire plurielle, ce long récit d’histoires personnelles et collectives, dans lequel chacun peut un peu se retrouver, doucement désarmant.
CHLOE MACAIRE
Austerlitz de Gaëlle Bourges, était joué les 6 et 7 mars au Théâtre de la Vignette à Montpellier