Très familier de l’œuvre d’Ibsen, qu’il a mainte fois mise en scène, Thomas Ostermeier adapte aujourd’hui Le Canard Sauvage au Festival d’Avignon. Dans cette pièce de 1885, le fils d’un riche industriel, Gregers, retrouve son ami d’enfance Hjalmar Ekdar. La famille de ce dernier a été trahie et ruinée par le père de Gregers, qui les a contraints à vivre dans la pauvreté, et surtout dans le déni. Persuadé que le mensonge est un poison qui empêche les gens d’être heureux, Gregers va s’immiscer dans la vie de la famille Ekdar pour les pousser à se révéler tous leurs secrets.
Ostermeier transpose les personnages et l’intrigue à notre époque, dans un modeste intérieur aux meubles dépareillés. Le décor installé sur un plateau rotatif et les costumes sont presque naturalistes, conformes aux codes du théâtre privé, que brise par moment le metteur en scène, notamment en ajoutant des adresses directes et humoristiques au public.
Une brillante actualisation
Ostermeier remanie toute la pièce au présent, en actualise la langue et certains enjeux, sans peur de couper à grands coups dans le texte originel. Et sans accrocs : tous ses ajouts et toutes ses modifications, même les plus évidentes, comme la logorrhée de Hjalmar sur Metallica, se fondent à merveille dans la narration. À tel point qu’il est parfois compliqué de savoir où s’arrête la plume d’Ibsen et où commence celle, plus légère, d’Ostermeier. Le metteur en scène ancre les enjeux de la pièce dans notre présent, par exemple en faisant de Hervig (la fille des Ekdal, 13 ans dans le texte originel) une aspirante journaliste de 17 ans, ce qui donne une ampleur actuelle à la réflexion sur la vérité qui est le cœur de la pièce.
L’interprétation des comédien·nes, tous plus excellent·es les uns que les autres, participe grandement de la pertinence de cette adaptation. Elle permet aussi d’actualiser de manière crédible les relations entre les personnages, d’une manière qui souligne les rapports de pouvoir sous-jacents. Par exemple, la rage contenue de Gina, épouse de Hjalmar qui sacrifie tout pour son mari, met en évidence la misogynie de Gregers, plus prompt à la blâmer pour ses mensonges qu’à accepter la médiocrité de son ami.
CHLOÉ MACAIRE
Le Canard Sauvage a été donné du 5 au 16 juillet à L’Opéra Grand Avignon
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