Emmanuel Macron le veut, Emmanuel Macron le fait. Les vitraux classés de Viollet-le-Duc seront déposés et remplacés par des vitraux tout neufs. Contre l’avis unanime des experts de la commission nationale du patrimoine, les grisailles abstraites et florales du grand restaurateur de Notre-Dame de Paris, précurseur de l’art nouveau, vont céder la place à un « geste contemporain ».
L’opposition au projet présidentiel est-elle d’arrière-garde ? L’histoire du patrimoine bâtimentaire n’est-elle pas faite d’incessants ajouts par des artistes de leur temps, grâce à des commandes publiques ? Les réacs des différentes écoles n’ont-ils pas lutté contre la tour Eiffel, le Centre Pompidou ou les pyramides du Louvre ? Zébuline va-t-elle hurler avec les loups, Bardella et Le Figaro, et pétitionner contre la création contemporaine ?
Pour quel récit édifiant ?
Les vitraux en grisaille de Viollet-le-Duc, dans les chapelles latérales, n’ont pas été endommagés. Mais depuis l’incendie le président Macron veut apposer la « marque du XXIe siècle », sa marque, dans la cathédrale de Paris, visible et spectaculaire. Il a renoncé à sa flèche en titane, mais ne cède pas sur les vitraux.
Les grisailles des chapelles laissent filtrer une lumière changeante et colorée, et leurs motifs ne sont pas sans rappeler les arabesques des mosquées. La commande d’Etat appuyée par l’Église qui vise à les remplacer est précise sur ses attentes : elle veut des « créations contemporaines figuratives et historiées représentant l’épisode de la Pentecôte raconté dans les Actes des apôtres ».
Où est donc le camp progressiste dans cette volonté édifiante d’imager les Actes des apôtres ? La Pentecôte surtout, qui fait l’apologie de la mission civilisatrice d’une religion centralisée et conquérante ? Le président de notre république laïque rêve-t-il de laisser sa marque de commanditaire dans ce monument religieux, au point d’y figurer, sinon en Esprit Saint descendant sur les hommes, du moins sur un cartel imposant et visible ?
Figé dans le binaire
L’affaire des vitraux est emblématique de la pensée binaire qui amène à tout simplifier, à choisir un camp à chaque question soulevée. Le président du « en même temps » qui disait gouverner au centre, a joué avec le feu en établissant de fausses analogies entre « les extrêmes ». L’état de tension et d’urgence dans lequel il a plongé la France sidère aujourd’hui la gauche, la fige dans des positions binaires qui lui interdisent les nuances entre ses composantes, et détruisent toute pensée dialectique élaborée contre ses adversaires de droite et ses ennemis d’extrême droite. Il faut être pour ou contre, ce qui signifie avec ou contre, et on hésite aujourd’hui à voter pour l’annulation de la réforme des retraites avec le RN, à signer contre les vitraux de Notre-Dame avec Bardella, à se réjouir avec Le Pen du prix Goncourt décerné à un auteur algérien que l’Algérie interdit.
Vers un récit commun
Le piège se referme, et la nuance n’est plus possible sans être soupçonné de trahir son camp. L’art, pourtant, nous aide à élaborer une pensée complexe qui peut nous préserver des monstres : cette semaine nous vous parlons des Imaginaires numériques qui transforment les arts binaires en rencontres humaines, des Artistes en exil qui exposent toutes les censures, de l’Alcazar qui affiche les mémoires migratoires de Belsunce, du théâtre Liberté qui laisse s’épanouir les problématiques queer au cœur du Var. Mémoire, mondialité, attention aux marges, refus des dominations : un autre symbole d’une Pentecôte humaine, où les langues de feu ne descendraient pas du Ciel pour envoyer les 120 disciples du Christ à la conquête culturelle du monde, mais où chacun pourrait témoigner en sa langue de son histoire singulière.
AgnÈs Freschel