Difficile de ne pas être touché en plein cœur par le documentaire de Chloé Barreau.
L’expérience de l’amour est universelle. Les personnes qui en parlent ici, appartiennent essentiellement à la bourgeoisie intellectuelle urbaine. Leur jeunesse est celle, libre et insouciante, des étudiants du lycée Henri IV, de Fénelon ou de la Sorbonne. Leurs témoignages s’inscrivent dans les années 1990, entre Paris, Rome, Barcelone et Londres, et, la réalisatrice fait de ce film une œuvre qui se confond avec son propre projet de vie. Pourtant, on reconnaît comme nôtres, les affres et les exaltations du sentiment amoureux qui s’exprime là.
En 90 minutes et 12 témoignages d’ex-amants et amantes, on suit le parcours amoureux de Chloé Barreau qui, depuis ses 16 ans, en a fixé les étapes avec son caméscope. « Elle ne se séparait jamais de sa caméra ou de son appareil photo », dit une ses amoureuses. Elle faisait de ses aventures des archives pour les sublimer, et de sa vie intime, une œuvre, dans une démarche assez semblable à celle de l’artiste conceptuelle Sophie Calle.
Fragments d’un parcours amoureux crée le portrait polyphonique d’une amoureuse invétérée et d’une cinéaste en devenir, donnant un contrepoint à ses propres souvenirs. Le film propose une passionnante réflexion sur la mémoire « plus mystérieuse que l’avenir », proche de l’imagination « puisqu’on se l’invente ». En filmant ses amoureux·ses, Chloé Barreau les emprisonnait dans l’image, les objectivait : « j’ai voulu leur redonner la place de sujet » dit-elle.
Romantique terroriste
C’est une de ses amies, Astrid Desmousseaux qui pose les questions autour de thématiques qui s’entrecroisent. Les premières amours, la rencontre, les coups de foudre, le poids des interdits plus ou moins inconscients autour de l’homosexualité (il faut se souvenir des polémiques autour du Pacs en 1999), l’ivresse de l’interdit, le désir, l’exaltation des corps, l’usure, le mensonge, les ruptures, les premières peines d’amour, et ce qui reste après… Les ex répondent, lisent les lettres d’autrefois, étreints par une émotion communicative, reconnectés à ceux qu’ils furent.
Certaines histoires sont plus douloureuses que d’autres. Chloé apparaît comme une romantique « terroriste » qui pense que l’amour autorise tout, une séductrice compulsive. Les larmes de Marina Jankovic sont bouleversantes et Anne Berest ne comprend toujours pas pourquoi elle lui a menti. Tous sont heureux, des années après, que tout n’ait pas disparu, qu’il y ait eu une archiviste pour attester que leur amour a bien existé, et d’une certaine manière existe toujours.
Le documentaire de Chloé Barreau se calque sur le titre du célèbre essai de Roland Barthes Fragments d’un discours amoureux (1977). Il s’y dit d’aussi jolies choses, souvent devant une bibliothèque, comme pour souligner que l’Amour se raconte toujours. À travers les récits de chacun, s’esquisse un inventaire des formes diverses qu’il peut prendre.
« La nuit je mens… j’ai dans les bottes des montagnes de questions/où subsiste encore ton écho » chante Alain Bashung en prologue. Une chanson d’amour et de résistance qui a scellé la rencontre du chanteur avec sa femme, une autre Chloé (Mons), et qui, ouverte à toutes les interprétations, pourrait tout aussi bien, faire épilogue.
ÉLISE PADOVANI
Fragments d’un parcours amoureux, de Chloé Barreau
En salles le 4 juin