D’emblée le film se déclare à la première personne : c’est la réalisatrice qui parle « je me suis cachée derrière ma caméra » dit-elle. Et si on l’entend poser des questions et répondre à ceux qui lui parlent, elle demeurera hors champ.
Ce qu’elle regarde, c’est Alice. Par ci, par là.
Elle la suit de ses 17 ans à ses 27 ans. Dix ans de hauts et de bas. Elle filme son fils, Aristo qui grandit, son mari Dorian qui vieillit. Aristo et Dorian par ci, par là, eux aussi. Seuls, quand elle tente de s’échapper de sa vie et disparaît de la leur. Ou avec elle, pour le meilleur et souvent le pire. Lieux contraints, appartements étroits, désordonnés, surchargés des peintures, dessins, papiers de Dorian et Alice, tous deux artistes.
Alice avait 15 ans quand elle a rencontré Dorian de 35 ans son aîné, marié et déjà père. Elle boit, se drogue, a contracté l’Hépatite C à cause des seringues. A seize ans, encore lycéenne, elle a un enfant de lui. Sa mère a refusé qu’elle avorte et Dorian a divorcé pour l’épouser. Le couple tire le diable par la queue et quelques années suffisent pour qu’il se déchire. Alice voit mourir ses rêves d’entrée aux Beaux-Arts. Elle se sent prise au piège. La fatalité familiale semble la frapper. Les traumatismes intergénérationnels resurgissent. Sa mère s’est mariée pour échapper à sa mère, elle ne désirait pas Alice. Elle l’a sacrifiée à sa carrière de journaliste, la laissant à la merci d’une grand-mère autoritaire qui n’était pas avare de coups et l’a totalement soustraite à ses parents.
Une enfance incurable
Les blessures de l’enfance guérissent-elles un jour ? « En sortant d’un passé sombre peut-on marcher vers la lumière ? » Peut-on aimer quand on n’a connu que le désamour ?
Alice traîne son mal être. Quand elle est « présentable », elle fait des webcams porno pour payer les traitements médicaux de Dorian et nourrir son fils. Son visage d’enfant aux yeux cernés, se marque au fil du temps ; aux piercings -nez, lèvre, sourcil, s’ajoutent des tatouages faciaux ; ses cheveux passent du blond au brun, du vert au rose. Elle aime Aristo mais n’hésite pas à l’abandonner pour suivre un homme dont elle tombe amoureuse, ne gardant avec elle que sa chienne Laika. Alice est là. Alice n’est plus là. On, off. Est-elle une mauvaise mère ? Dorian assure son rôle de père au quotidien mais n’hésite pas quand il est acculé, à utiliser son enfant pour obtenir de l’argent. Aristo se trouve au milieu des disputes de ses parents, un père trop vieux, une mère trop intermittente : quel homme deviendra-t-il ? A aucun moment, la réalisatrice ne porte de jugement, elle saisit les gestes qui disent la tendresse, les regards qui disent la détresse. Elle nous place dans l’intimité des blessures de chacun et nous sommes si proches d’Alice que nous ne pouvons que compatir à sa souffrance. Comme Isabela Tent, nous regardons Alice et Alice nous regarde dans tous les sens du terme nous renvoyant à nos émotions et à notre fragilité.
ELISE PADOVANI
Le film a été projeté le 3 décembre à la Mairie du 1/7
en salle le 10 décembre 2025





