La frontière entre les arts s’amenuise dans ce contexte : la forme classique de la BD croise les arts graphiques, au point que le titre complet de cette manifestation qui renoue avec le printemps s’intitule Rencontres du 9e Art, Bande dessinée et arts associés. Opérant le « pas sur le côté » nécessaire à l’observation et à la construction, ce festival invite à porter « un autre regard sur le neuvième art ». Pour ce faire, il confie la programmation aux artistes qui inventent des rencontres, des discussions, des ateliers, des performances, des moments de dédicaces, des parcours atypiques, des découvertes, des confrontations entre les lieux et l’art, des performances graphiques, des happenings. S’élaborera même un jeu de cartes à collectionner ! Aux manettes, huit artistes sont invités cette année, Davor Vrankić, Sergio Mora, Yann Legendre, Camille Lavaud-Benito, Jérémie Fischer, Émilie Gleason, Mister Kern et Olivier Besseron. D’autre part, plus de trente auteurs et auteures venus de plus de sept pays sont invités à cette fête qui tisse avec tant d’inventivité et dans tous les domaines possibles les mots et les images. Paraîtront à cette occasion trois journaux BD « Éditions spéciales » tandis que la Nuit européenne des musées endossera la thématique « Spéciale bande dessinée ».
Des lieux choisis
Carte blanche a été laissée aux artistes pour choisir les lieux qu’ils souhaitaient investir, conjuguant ainsi leur univers à des espaces à l’histoire forte. On retrouve à l’Office de Tourisme les dessins de Yann Legendre qui a fait paraître en septembre 2022 la BD de science-fiction Vega sur un scénario de Serge Lehman : à la fin du XXIe siècle mafias d’État, métropoles insurrectionnelles, séparatismes génétiques, stations spatiales privées entretiennent la Guerre Sourde. Biodiversité et chaos politique sont passés au scalpel au fil des aventures de la docteure Ann Vega… La galerie gothique du Musée des Tapisseries sera livrée aux « magouilles et rififis », véritables « cas de figure » concoctés par Camille Lavaud-Benito. Ses jeux graphiques, sa manière de mélanger faits divers authentiques et éléments factices (faux films, fausses réclames), constituent une œuvre singulière nourrie de l’Histoire et des cultures populaires ainsi que du cinéma des années 1950 à travers Le Consortium des Prairies, qui est une « vraie-fausse » société de production cinématographique.
Silvacane va voyager sur les ailes des dessins de Pierre Fournier dit Makyo que l’on connaît pour sa Balade au bout du monde et ses contributions à Spirou. Une exposition consacrée au journal Spirou se tient au Centre Franco-Allemand de Provence grâce au « retour vers le futur » de Flix. Des « seconds rôles » hanteront la galerie Vincent Berker, avec Stéphane Trapier qui se plaît à revisiter les BD vintage en y ajoutant des phylactères à l’humour décapant et ancré dans les problématiques de notre époque. Jérémie Fischer va sur les traces du peintre aixois à l’Atelier Cézanne avec ses papiers découpés et son insatiable curiosité pour ce qui se trouve derrière les choses visibles. Il estime par ailleurs les chutes de papier plus importantes que ses découpes, leur caractère aléatoire offre de fantastiques surprises et servent à orchestrer les perspectives parfois vertigineuses de ses tableaux.
Un village graphique
Les 350 m2 de la Manufacture accueillent les créations grand format, le jeu de cartes à collectionner de Davor Vrankić et ses dessins à la mine de plomb (et sans gomme !) qui donnent l’impression de vivre malgré leurs caractères étranges, voire impossibles. La dystopie dirigée par les jouets de Sergio Mora anime le Moraland, univers surréaliste où nos travers sont épinglés avec acidité. La famille de Fluide Glacial sera représentée par Olivier Besseron et son Love me tender Love me true. Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin dans la description quand on connaît l’esprit potache et cru du journal. Camille Lavaud-Benito convie à ses explorations inédites. La malbouffe et autres travers de notre monde libéral de consommation sont épinglés par le « Junk Food » d’Émilie Gleason (quelle est la drogue dont la dépendance est la plus répandue de par le monde ? Le sucre bien sûr !) et les Mitbols de Mister Kern dont les tableaux grand format s’imposent d’emblée, nous faisant passer de l’expo BD à celle d’un Frac ! Et tout est gratuit !
MARYVONNE COLOMBANI
Rencontres du 9e Art
8 avril au 28 mai
La Manufacture et divers lieux, Aix-en-Provence
www.bd-aix.com