Fidèle à sa vocation de lieu de rencontres entre auteurs et public, la librairie Maupetit a proposé à ses lecteurs deux beaux moments de réflexion. Le premier était à l’initiative de Kometa, nouvelle revue qui publie des récits littéraires, des photos d’auteurs et des débats d’idées ambitieux. Pour son premier hors-série, la rédaction avait choisi le thème de l’Arménie, pays mouchoir de poche mais à l’histoire ô combien riche et troublée. Autour de la directrice de la publication Léna Mauger (ancienne rédactrice en chef de la revue XXI, elle réside à Marseille) le réalisateur Serge Avékidian et la journaliste Taline Oumdjian ont raconté les liens qui les rattachent au pays de leurs ancêtres. Le premier, fils de rescapé du génocide, est né et a grandi en Arménie après que ses parents, résidents en France, aient décidé d’embarquer de Marseille sur le paquebot soviétique Rossia qui, en 1947, transporta 3600 Arméniens ayant répondu à l’appel de Staline de rejoindre l’Arménie soviétique. Ils n’auront de cesse de vouloir regagner la France où Serge s’installera. La seconde, qui a grandi à Paris, était journaliste à France 24. Lorsque la guerre au Haut Karabagh se déclare et alors qu’elle doit commenter les images qu’elle voit sur les écrans, elle réalise qu’elle ne connaît rien du pays de ses aïeux. Elle décide d’y faire un séjour puis d’y vivre : « L’histoire des Arméniens, c’est celle de ce va-et-vient, de ces allers-retours permanents ».
Domination et édition
Deux jours plus tard, la librairie accueillait Gisèle Sapiro, directrice de recherche au CNRS pour son ouvrage Qu’est ce qu’un auteur mondial (éditions du seuil 2024), un livre somme qui étudie la domination post-coloniale des pays occidentaux sur la circulation de la production intellectuelle mondiale et qui se pérennise avec la concentration des grandes maisons d’éditions. 85 % du marché des livres scolaires dans les anciennes colonies françaises est détenu par Hachette, explique la sociologue disciple de Pierre Bourdieu qui déplore le manque de diversité d’un secteur dont « l’universalisme » est andro et européanocentré, en particulier dans les prix littéraires. Elle rappelle qu’il a fallu attendre 1993 pour qu’une première femme noire, Toni Morrison obtienne le prix Nobel de littérature et 2024 pour qu’une asiatique, l’auteure coréenne Han Kang, en soit lauréate.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Les rencontres se sont déroulées les 23 et 25 janvier à la librairie Maupetit, Marseille.
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