Quels types de liens gardons-nous avec la terre d’origine après l’avoir quittée ? La nouvelle exposition du Mucem, Revenir, s’axe sur l’après de l’exil. Un angle original pour traiter de la question migratoire en Méditerranée, plus souvent abordée sous celui du départ que du retour.
Dès l’entrée, dans la salle principale du bâtiment George Henri Rivière, les mots d’Homère happent le visiteur : « Mais c’est là tout mon souhait, tout mon rêve à jamais : rentrer chez moi, revoir le jour de mon retour » confie Ulysse à la nymphe Calypso. Le plus grand bourlingueur de l’Antiquité aspire à revoir son île natale, dont il est parti guerroyer, plus ou moins à contrecœur selon les versions du mythe. Il y parviendra, retrouvant femme, royaume et héritier après vingt ans d’absence. Ce qui n’est pas toujours possible quand on a connu le déracinement, qu’il soit volontaire ou contraint et forcé. Parfois, le chez-soi tel qu’on l’a connu n’existe plus, détruit par la guerre ou le temps. Parfois on a tellement changé soi-même qu’on ne peut plus l’habiter que dans le souvenir.
Quand la recherche nourrit le propos
Autant de nuances qui se révèlent dans le travail des deux commissaires de l’exposition, Giulia Fabbiano et Camille Faucourt. Les deux femmes se sont intéressées « aux expériences vécues de l’exil, et à la façon dont celles-ci sont transmises de génération en génération ». Un propos sensible qui s’appuie sur un énorme travail de collecte, initié dès 2016, alors que Giulia Fabbiano était doctorante et focalisait ses recherches sur le retour des immigrés en Algérie. Par la suite, un groupe interdisciplinaire de géographes, anthropologues et artistes s’est lancé dans une série d’enquêtes de terrain pour alimenter les fonds du musée, en Italie, Macédoine du Nord, Haute Galilée, Grèce ou Cisjordanie. Dans leurs filets, une foule d’éléments matériels et immatériels, cartographies, correspondances, vêtements, souvenirs, affiches, films, dessins, esquissant destins et trajectoires de personnes déplacées.
En résonance avec l’actualité
Ce n’est pas la moindre qualité de ce travail que de juxtaposer, sans les hiérarchiser, les expériences douloureuses de populations, dont certaines sont prises dans une actualité explosive. La mémoire de la communauté juive de Rhodes, déportée et exterminée en 1944, côtoie ainsi des témoignages rassemblés durant l’été 2023, dans le camp de réfugiés palestiniens d’Aïda. On s’arrête longuement devant une carte, réalisée par le collectif militant De-Colonizer, qui recense les destructions opérées dans les localités palestiniennes, juives et syriennes depuis des décennies. Ou des objets d’artisanat faits à partir de cartouches de gaz lacrymogènes, tirées par l’armée israélienne. Un peu plus loin, une frappante statue de bronze, réalisée par l’artiste Khaled Dawwa en 2022, représente le pouvoir autoritaire en Syrie, sous les traits d’un homme bedonnant en voie de pourrissement. Tout n’est pas aussi brutal : une bonne partie du parcours évoque plutôt les liens entretenus entre pays d’origine et pays d’accueil, tels ces rejetons d’un figuier centenaire, soigneusement plantés sur la terre nouvelle par une famille immigrée. Mais l’ensemble est poignant.
GAËLLE CLOAREC
Revenir
Jusqu'au 16 mars
Mucem, Marseille
À lire
Revenir – Expériences du retour en Méditerranée
Catalogue de l'exposition
Dirigé par Giulia Fabbiano et Camille Faucourt
Éditions Mucem / anamosa, 28 €
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