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Sacrifice pascal 

Andrei Cohn livre dans Semaine Sainte une histoire terriblement actuelle d’engrenage de la violence sur fond de xénophobie et d’antisémitisme

Troisième long-métrage du réalisateur roumain Andrei Cohn, sélectionné à la 74e Berlinale dans la section Forum, Semaine Sainte est la libre adaptation d’une nouvelle de Ion Luca Caragiale: Le Cierge de Pâques

Dans une douce campagne, un homme attaché on ne sait pourquoi et qu’on conduit on ne sait où, tire sa longe pour agresser une femme enceinte. Tout est déjà en latence dans cette ouverture : un monde accueillant, nourricier, beau, une communauté apparemment liée par des lois communes et l’irruption de la violence, portée sur cette femme, qui reste seule avec son mari, tandis que les paysans sortent du cadre, sans un geste de solidarité. On est au début du XXe siècle dans un village roumain. Avant la shoah et le bolchévisme. L’agressée est juive, épouse de Leiba, l’aubergiste.

Ce sont les derniers Juifs de ce village chrétien où se prépare la Semaine Sainte. Les autres ont sans doute eu de bonnes raisons de partir mais Leiba (Doru Bem) s’accroche, même s’il vend moins bien son vin, que clients et voisins deviennent hostiles. À l’auberge, les buveurs philosophent. Entre deux verres on évoque Darwin, l’évolution qui doit bien s’accompagner d’une « involution », mais aussi les théories racistes du criminologue Cesare Lombroso. L’idée – qui fera son chemin – que certains hommes valent moins que d’autres, est bien dans l’air du temps. Il suffit d’un rien pour que, légitimée, la haine n’explose. Ce rien, c’est l’altercation entre Leiba et Gheorghe (Ciprian Chiriches), son jeune employé chrétien qu’il renvoie après lui avoir refusé un congé pour la célébration pascale. En retour, Gheorghe le menace de le clouer à sa porte avec femme et enfant la nuit de Pâques. Paroles en l’air ? Ou véritable danger ? 

La mécanique du Mal

Dès lors toutes les rancœurs accumulées à l’encontre du Leiba vont se solidariser, et sa paranoïa décupler. La mécanique du mal est lancée sans que quiconque ne puisse l’arrêter, la peur menant à la folie et la folie au meurtre. L’angoisse se glisse dans tous les plans d’une singulière beauté. On tremble pour Eli, le fils de Leiba chaque fois qu’il disparaît dans les bois, on a peur pour le bébé à naître et pour sa mère. Les espaces extérieurs saturés de lumière, le fleuve idyllique, les chemins bucoliques, ce décor « primitif et brut » comme le qualifie le réalisateur, attend les méfaits humains. Leiba, bon père, bon mari, n’est toutefois pas idéalisé. C’est un commerçant un peu buté – bien moins fûté que sa femme –, et qui, malgré son statut social de patron, n’est pas protégé par la loi rangée du côté de la meute coalisée. Acculé, il sera « incapable de distinguer les menaces réelles et imaginaires » précise le réalisateur. Gheorghe est tout aussi buté mais sans doute inoffensif. L’ambiguïté sera maintenue. « Certains auront peut-être du mal à trouver comment s’approprier cette histoire mais j’espère éveiller des doutes auxquels je ne peux cependant pas offrir de réponses. » ajoute Andrei Cohen. La dernière séquence de son film, terrible dans ce qu’elle suggère, s’associe à l’agneau sacrifié et nous renvoie, à travers l’actualité, à d’autres images moins suggérées et non fictives, insoutenables.

ÉLISE PADOVANI

La Semaine Sainte, d’Andrei Cohn
Sorti le 10 avril
Le film a obtenu le Prix Giuseppe Becce
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