Voilà plusieurs années que la partition de Lionel Ginoux attendait d’être portée à la scène. Les chants composés pour baryton, et interprétés avec justesse et brio par Mikhael Piccone, sont d’une limpidité et d’une finesse qui ne peuvent que provoquer l’émotion. Adaptés de textes de l’auteur jeunesse Jean-Pierre Siméon, les chants disent, sans la surligner mais sans non plus l’occulter, la douleur de l’exil, de la migration forcée. Conçu en soutien à SOS Méditerranée, le spectacle pensé par le fondateur du Calms (Collectif des artistes lyriques et musiciens pour la solidarité) adjoint à cette parole littéraire et musicalisée celle des membres de l’association, partis secourir en mer ceux qui risquaient d’y périr. Déclamés avec pudeur par le comédien Corentin Cuvelier, ces témoignages s’adjoignent à une partition instrumentale de très bonne tenue, composée pour l’occasion par Lionel Ginoux en contrepoint avec les chants initiaux. Les musiciennes – Marion Liotard au piano, Marine Rodallec au violoncelle – y insufflent ce qu’il faut de lyrisme et de résolution pour ne pas dénaturer le propos. Ces voix venues de la mer résonnent ainsi sur scène, jusqu’aux parties de témoignage que l’on devine indicibles, voire insupportables. La chorégraphie âpre, physique et d’une expressivité à toute épreuve de David Lliari anime les corps fébriles des danseuses et danseurs : Thomas Barbarisi, Mélanie Ramirez, Samy Mendy et Doumbouya Talaour s’emparent de la scène avec une ferveur et une vérité qui ajoutent de la rage et de l’émotion là où, on le devine, la peur et le chagrin ont déjà pris chez d’autres le dessus. L’apparente simplicité du dispositif ne confine jamais au simplisme, et rares sont les spectacles qui ont cru aux possibles de la musique, de la danse et de l’art en général pour dire ce monde-là. Encore trop rares sont celles qui y parviennent aussi bien.
SUZANNE CANESSA
Sans frontières fixes a été donné le 26 mai au Théâtre Toursky, Marseille.