« J’ai trois foyers : ma terre biélorusse, la patrie de mon père où j’ai vécu toute ma vie, l’Ukraine, la patrie de ma mère où je suis née, et la grande culture russe », expliquait Svetlana Alexievitch, lauréate du Nobel de littérature, lors de son allocution de remise de prix en 2015. Une triple ascendance qui a nourri toute son œuvre et doit, en cette presque année écoulée depuis l’invasion russe de l’Ukraine, lui déchirer le cœur. L’écrivaine, qui revendique de « regarder le monde avec les yeux d’une littéraire et non d’une historienne » pour pouvoir inclure les émotions dans son travail de mémoire, n’a cessé de sonder « le Mal et l’homme », dans une série d’ouvrages pétris de réel.
Oubliées et déconsidérées
Marion Bierry adapte La guerre n’a pas un visage de femme, livre paru en 1985, au terme de plusieurs années passées à collecter des témoignages d’anciennes combattantes soviétiques, engagées durant la Seconde Guerre mondiale. La metteuse en scène a resserré la polyphonie de ces récits autour de cinq personnages, ayant intégré différentes unités : aviation, blindés, tireur d’élites, sapeurs-mineurs et médecine. Cinq comédiennes – Cécilia Hornus, Sophie de La Rochefoucauld, Sandrine Molaro, Emmanuelle Rozès, Valérie Vogt – donnent avec tout leur talent un visage à celles qui, souvent très jeunes, ont participé à la grande boucherie des années 1940-1945. Avant de rentrer au pays, où elles furent au mieux oubliées, au pire déconsidérées pour avoir investi le champ viril. Dans un décor minimal, fait pour donner un maximum de place à leur parole, résonnent les échos d’une guerre, qui comme la plupart des guerres, fut menée par les hommes. Mais pour une fois, racontée avec des voix de femmes.
GAËLLE CLOAREC
La guerre n'a pas un visage de femme
Du 24 au 26 janvier
Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence
04 42 99 12 00
lestheatres.net