Pourquoi consacrer une biographie à un auteur quand sa vie est passionnante au point d’en tirer un roman ? Après Le Maître, qui retraçait une période de la vie de l’auteur anglo-saxon Henry James, l’Irlandais Colm Toíbín s’attaque à la figure d’un autre écrivain, l’Allemand Thomas Mann. Récit au long cours – dans la période qu’il couvre (1875-1955) comme dans le nombre de pages (608), Le Magicien nous entraîne dans le déclin d’une très riche famille industrielle allemande, à la chute de l’Empire germanique. De la défaite de 1918, à l’échec de la République de Weimar face à la montée du nazisme, jusqu’au partage de l’Allemagne en deux États au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Prenant toujours position dans un camp – parfois à contre-courant de la marche du monde – Thomas Mann, pris dans les flots de l’Histoire, est très vite contraint à l’exil puis déchu de sa nationalité. Démarre alors un recul inexorable vers l’ouest, au fur et à mesure que la menace, elle, gagne du terrain. La Suisse, Sanary-sur-Mer, Princeton, Pacific Palissades en Californie les accueillent, lui et sa famille, comme bon nombre d’intellectuels allemands de l’époque. Grâce au suspense et à la tension narrative qu’instille Colm Toíbín, ce qui ne devait être qu’un récit biographique devient progressivement un très efficace thriller politique.
Et d’ouvrir le lecteur à toute une littérature. Plus qu’aux vies du romancier Thomas Mann et des membres de sa famille, qu’à leurs joies et à leurs drames, Le Magicien permet l’accès à la fabrique de l’imaginaire d’un des plus grands auteurs européens du XXe siècle, dont l’œuvre sera d’ailleurs couronnée par le prix Nobel, en 1929. Au fil de la lecture, on découvre comment sont nés des chefs-d’œuvre comme Les Buddenbrook, Tonio Kröger, Mort à Venise et La Montagne magique. Pour un livre refermé au bout de 600 pages, ce sont ainsi des dizaines d’autres qui s’ouvrent signés Thomas, Heinrich et Klaus Mann, respectivement son frère et son fils, et d’écrivains plus méconnus aujourd’hui ou dont nous ignorions qu’ils fussent les auteurs des ouvrages cités.
KEVIN BERNARD
Le Magicien de Colm Toíbín
Grasset, 26 €