Danser, chanter, faire la fête, voilà à quoi ressemble un été culturel. Mais cela n’est possible que sous certaines conditions : fouilles des sacs, barrières, agents de sécurité… une situation pesante pour les festivaliers et les organisateurs. Les attentats de 2015 et 2016 ont entraîné un durcissement de la sécurité : 68% des organisateurs de festivals adhérents du Syndicat des musiques actuelles (SMA) notent une hausse des dépenses de sécurité en 2024 par rapport à l’année précédente. Pour une grande structure comme le Festival d’Avignon, la directrice administrative Eve Lombard, explique que « la sécurité représente un peu moins de 10% des 5 millions d’euros du budget technique ». Soit près de 500 000 euros dédiés à la sécurité, autant qui n’est pas investi dans l’artistique.
Dans les lieux fermés, comme les théâtres, la sécurité a aussi un coût. Au Théâtre de La Criée, le budget annuel de sécurité se situe entre 80 000 et 90 000 euros. Un budget qui n’a de cesse d’augmenter depuis l’instauration du plan Vigipirate. « On est toujours en Vigipirate élevé, cela nous a poussés par exemple à mettre en place une vidéosurveillance en 2015 » explique Alexandre Madelin, directeur administratif du théâtre marseillais. Il questionne l’utilité de telles pratiques et assure que « même avec les fouilles, le théâtre n’a jamais refusé un spectateur ».
Aucun des organisateurs contactés n’a fait face à des incidents. Pourtant, les réglementations « n’ont jamais diminué et des fiches sont mises à jour régulièrement par la préfecture mais difficiles à interpréter » explique Alexandre Madelin, administrateur du théâtre de La Criée.
Par exemple, deux circulaires ont été mises en place pour réglementer la sécurité des événements dans l’espace public. Une première en 2018 par Gérard Collomb, une deuxième en 2022 par Gérald Darmanin. Elles confèrent notamment le pouvoir aux préfets et aux services de police de décider des dispositifs de sécurité nécessaires, ainsi que leur facturation aux organisations culturelles, augmentant leurs dépenses sécurité. Pour autant, elles ne s’appliquent qu’aux événements à but lucratif. « Lucratif », un terme flou pour la plupart des associations culturelles organisatrices. Certains organisateurs soulignent d’ailleurs la volonté des préfectures, comme celle de Vaucluse, de ne pas appliquer les directives à un monde culturel aux budgets déjà exsangues.
Une liberté artistique sous conditions
Des réglementations qui mettent parfois en péril la tenue de certains événements. En 2018, le festival Microclimax n’a pas pu tenir sa première édition. Quand il avait un budget total de 18 000 euros, la seule sécurité lui en aurait couté 19 000. La préfecture voulait déployer 40 gendarmes pour 450 festivaliers – et c’est à l’organisation d’en payer la facture. « L’équation est à la limite de l’insoluble. Nous, on veut rester dans une culture accessible à tous, mais la sécurité est plus chère, tout comme les cachets des têtes d’affiche », explique Aurélie Hannedouche, directrice du SMA.
Pour contourner ces hausses de coûts, certains opérateurs culturels font preuve d’imagination. «On choisit des lieux déjà sécurisés » où les forces de l’ordre sont déjà présentes en permanence, afin de mobiliser moins d’agents de sécurité explique Alexis Nys, directeur de Lieux Publics, spécialiste du spectacle de rue à Marseille. Autre manière de réduire les coûts, « programmer des événements le mardi à 19 h plutôt que le week-end. Cela rassure les autorités car il y a moins de “chances” que le rassemblement dégénère. »
Pour David Mossé, directeur technique indépendant chez De Visu, « le théâtre de rue est un acte militant », et ces nombreux dispositifs sont un frein à la liberté de création. « Le 18 mai pour le Festival Bleue, on me dit au dernier moment qu’il faut six personnes de plus pour sécuriser. Il a fallu que je les trouve la veille pour le lendemain et là, on s’endette. Je ne suis pas prêt de refaire une déambulation… [dans l’espace public] » regrette-t-il.
Si ces règles sont un poids les organisateurs, il savent aussi qu’en cas de problème, ils seront les premiers tenus responsables : « Du point de vue d’un organisateur qui aime la liberté, c’est trop de sécurité. Mais s’il y a le moindre problème, ça nous retombe dessus, on est responsable donc c’est une position peu évidente » explique Hugues Kieffer, directeur du Marseille Jazz des Cinq Continents.
Des budgets sécurité qui augmentent
Toutes les structures interrogées se voient dans l’obligation de faire appel à des agents de sécurité par le biais d’une entreprise privée pour respecter la législation. Un coût pour les organisateurs qui peut parfois dépasser celui du spectacle en lui-même. En 2023, le budget sécurité de la représentation de Mirage de la compagnie Dyptik, donné dans le centre ville de Marseille, « représentait deux fois le prix du spectacle » se rappelle Alexis Nys.
Un cas loin d’être unique. Depuis 2003 et jusqu’en mai 2018, Sirène et midi net, également organisé par la Cité des Arts de la rue, a rythmé le parvis de l’opéra. Chaque premier mercredi du mois, au son des sirènes d’alerte, les artistes proposaient des performances artistiques. Mais au fil des années et de l’intensification des règles de sécurité, le rendez-vous marseillais s’est arrêté.David Mossé était le directeur technique de l’époque : « L’artiste va toucher 500 €, alors qu’à côté, t’en as pour 5 000 € de sécurisation. Donc ça n’a plus de sens. » explique-t-il.
Des budgets dans la culture qui baissent, des coûts sécuritaires qui augmentent, des délais très courts, et beaucoup d’autorisations qui peuvent décourager la création… Le constat rappelle combien le secteur culturel vit en surchauffe, alors même que la menace n’est pas plus grande pour les événements culturels que dans d’autres lieux accueillant du public. Un paradoxe avec lequel conclue Alexis Nys : « Un spectacle sur la liberté ne peut pas être encerclé de cage. »
LOLA FAORO ET MELYNE HOFFMANN–BRIENZA
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