Lorsqu’il apprend avec ses deux demi-frères que leur mère avait accouché d’une petite fille, à Bordeaux, en 1963 et qu’on la lui a enlevée le jour même, Éric Fottorino comprend la raison de la tristesse et de la mélancolie qu’il a toujours lue dans ses yeux. Lui-même était né trois ans plus tôt d’un juif marocain et, comme on ne plaisantait pas avec ces choses dans les années 1960, la grand-mère a imposé à sa fille l’abandon du deuxième enfant sans père. La blessure ne s’est jamais refermée. La jeune femme de vingt ans a travaillé dur comme infirmière de nuit pour nourrir sa mère et son fils. Plus tard elle avait rencontré un homme qui l’avait épousée, avait donné un nom à son fils et permis de retrouver l’honneur.
Un récit poétique
La forme du poème s’est imposée à l’auteur pour faire revivre la souffrance de sa mère, les jours difficiles, la blessure jamais refermée. Cette confidence émouvante souligne les difficultés des femmes face à des grossesses hors-mariage, à une époque où morale et contraintes religieuses irriguaient la société. Ce n’est que très tard que la mère a avoué : « J’ai eu une fille / on me l’a prise. » À partir de ce moment l’auteur-narrateur réinvente son enfance avec sa petite sœur et évalue tout ce qui aurait été différent. Il se lance dans une véritable enquête et, grâce à Google et aux réseaux, trouve une piste. Emotion d’entendre au téléphone une voix aux modulations qui ressemblent à celles de sa mère. Peu à peu se fait le chemin des retrouvailles, de la reconnaissance ; les ombres du passé s’éclaircissent. On suit pas à pas cette renaissance des liens souterrains si ténus, mais si indispensables. Ce long parcours vers la lumière, l’atténuation du souvenir de l’arrachement 60 ans plus tôt et l’émotion qui nous saisit et que nous partageons.
CHRIS BOURGUE
Mon enfant, ma sœur d’Éric Fottorino
Gallimard - 21 €