Jour de ressac n’est pas un polar, mais c’est clairement un roman policier. Vu de l’intérieur jusqu’à la résolution, mais avec meurtre, légiste, policier, témoins, enquête, reconstitution, commissariat et lieu du crime. Avec, surtout, une narration qui laisse dans l’ombre certains faits pour faire monter le suspense, et révéler des indices, que la narratrice dissimule, puis dispense peu à peu, au gré parfois de ses propres réminiscences. Car celle qui dit « je » et demeurera sans prénom, est parisienne, compagne d’un imprimeur et mère d’une fleurettiste, comédienne de doublage, double de l’autrice par son âge, son milieu, sa famille. Elle se trouve brutalement confrontée à la découverte d’un corps, et convoquée au Havre…
Fuite et double
Haletant jusqu’au bout, le roman est aussi un bijou d’écriture autofictionnelle. Les phrases de l’écrivaine, courtes et percutantes, ou longues et savamment emboitées, construisent un style affirmé, au vocabulaire riche, parfois familier ou rare, toujours musical et rythmé. Et sans failles, sinon désirées. Osant par endroits l’élan lyrique, l’épanchement, l’abréviation des conversations rapportées, le portrait en règle.
Et laissant place au ressac, à la vague qui nous surprend comme une gifle. Aux bombardements, qui ont détruit le Havre et détruisent l’Ukraine, à la mer qui emporte, à la jeunesse qui revient, aux classes populaires, aux réfugiées ; à la destruction, à la dépression, à la fuite ; aux gestes qui s’impriment aussi et reconstruisent, à fleuret moucheté, loin d’une famille, d’un frère, d’un père, d’une mère dont on ne saura presque rien, sinon que la doubleuse a choisi une autre vie sans jamais, sauf une fois, remettre les pieds dans sa ville.
AGNÈS FRESCHEL
Jour de ressac, de Maylis de Kérangal
Verticales – 21€
Sorti le 15 août
Maylis de Kérangal sera présente le 28 septembre aux Correspondances de Manosque, pour une rencontre place Pagnol animée par Régis Penalva.