La quarantaine, pas très séduisant, chômeur, alcoolique, pauvre, dépressif, domicilié chez sa mère, sans ami, père d’une adolescente qui vit chez la sienne. Auteur de deux recueils vieux de 20 ans, qu’il trimballe, jaunis sous son bras. Irresponsable, inadapté social, un tantinet pleurnichard et totalement intransigeant dans sa posture de poète maudit qui ne supporte aucune concession à la vie pratique. Voilà en quelques traits, Óscar Restrepo, « le Poète » dont Simón Mesa Soto brosse le portrait dans son dernier film, et qu’il parvient, contre toute attente, à nous rendre attachant.
On est à Medellín. Óscar (Ubeimar Rios) conduit sa mère à ses rendez-vous médicaux, fréquente la Maison de la poésie où autrefois il a brillé mais où plus personne ne s’intéresse à lui. Dans sa chambre la photo du poète suicidé à 30 ans, José Asuncion Silva, son idole, qui le regarde sévèrement et le conforte dans sa vocation. Il essaie de parler à Daniela (Allison Correa) sa fille, gênée d’avoir un père qui l’attend, ivre comme Bukowski, à la sortie des cours, lui tape de l’argent tout en lui promettant qu’il financera ses études. Teresita (Margarita Soto), sa sœur lui lance un ultimatum : soit Óscar accepte le poste de professeur qu’elle lui a déniché, soit il est viré du foyer familial. Pressé de toutes parts, Óscar finit par se trouver dans une classe de lycée à proclamer des poèmes désespérés. Car pour lui qui cite Wilde : « Où il y a de la souffrance il y a un sol sacré. »
Il y rencontre Yurlady (Rebecca Andrade) une jeune fille venue d’un milieu très défavorisé, un peu boulotte, discrète qui écrit des poèmes. Juste comme ça, sans prétention, pour exprimer ce qu’elle ressent. Celui qui se revendique « Poète », découvre les textes simples et lumineux de celle qui n’a pas l’intention de l’être. Il veut la sortir de son milieu, changer ses rêves d’avenir trop prosaïques pour lui : être mère, coiffeuse, manucure. Il la traîne à la Maison de la poésie. Le directeur, un bellâtre prétentieux et cynique qui sait se vendre, est conquis par la qualité des poèmes de la jeune fille. Il flaire surtout une occasion de se valoriser en mettant en avant « une défavorisée ». Il la propulse à la télé aux côtés d’un rappeur aux 80 000 abonnés You tube et l’inscrit au festival de poésie annuel. Óscar fulmine devant le tour que prennent les choses. Yurlady rechigne à jouer le rôle qu’on lui impose. Mais sa famille-tribu, plus proche de celle de Parasite de Bong Joon-ho ou de celle d’Affreux sales et méchants d’Ettore Scola, que de celle des Pauvres gens de Victor Hugo, la pousse à accepter. S’ensuivront une série de rebondissements qui conduiront Óscar à la catastrophe ou à la rédemption ou peut-être aux deux.
Le réalisateur construit son film en quatre chapitres dont les titres entrent en dissonance avec leur contenu. Il les jalonne de disputes qui opposent Óscar au reste du monde. Óscar, le mauvais père (qui est resté un enfant), le mauvais fils, le mauvais mari, le mauvais enseignant et peut-être le mauvais poète, dont la pureté n’a rien d’exemplaire.
Ces dialogues interrogent l’utilité de l’art, son rapport à l’argent, sa récupération par les forces dominantes. Gabriel Garcia Marquez sur un billet de banque et l’anachronisme chronique de la poésie dans une société marchande. Discours sérieux qui bascule sans cesse dans le burlesque, la parodie, la satire. Un miscellanée de registres et d’influences avec, en contrepoint, une clarinette jazz, clin d’œil humoristique à la comédie newyorkaise. Tourné en 16 mm, en raison, dit le réalisateur de « sa texture désuète », de « son côté brut et imparfait », mais surtout, avoue-t-il « pour le plaisir », cette « comédie colombienne sur les poètes » avec dans le rôle-titre un acteur non professionnel, peu bankable sur le marché du cinéma latino américain, a obtenu un Prix du Jury très mérité au dernier festival de Cannes, Section Un certain regard.
ELISE PADOVANI
Un Poète de Simón Mesa Solo
En salles le 29 OCTOBRE 2025






