En février, le festival Les Hivernales ne craint pas de prendre des risques. Comme avec Empire of a Faun imaginary de Simone Mousset qui, écrit-elle, « met en jeu un processus de transformation, de création et de combinaison qui semble magique ». Là où la jeune chorégraphe luxembourgeoise voit de la magie, on perçoit une extravagance sympathique rapidement ennuyeuse. Là où la pièce « interroge la capacité de notre cerveau à éprouver la solitude, le désir, la mélancolie, la peur » dans un espace apparenté à un zoo fictionnel, on interroge la forme, même si elle est piquée d’humour. Bref, ce qui fait sourire pendant les quinze premières minutes – sautillements, pose hiératiques ou alanguies, collants de poils hérissés, borborygmes et chants a capella, cris polyphoniques – devient rapidement monotone. Le clou étant l’apparition grotesque d’un mammouth laineux qui vient dévorer les humains aux mimiques animales. Sans surprise, il avale tout sur son lent et long passage, déconstruisant le caractère complètement « barré » du spectacle qui avait aiguisé notre curiosité…
Un concentré d’énergie
Performatif lui aussi, le solo Blast ! de Ruth Childs est tout en retenue et en force prête à exploser. Ce que la danseuse anglo-américaine ne manque pas de faire après une longue marche autour d’un cercle invisible, regard et corps tendus vers l’intérieur. Quasiment autiste, elle déambule sur un rythme soutenu jusqu’à la rupture fatale : silence brutal, agenouillée, immobile… à quelques détails près. Le dos légèrement courbé, son visage tourné face au public, sa bouche entrouverte. Seul le frottement de sa langue contre son palais emplit l’espace, prologue à un doux effondrement de l’être avant qu’il ne ressuscite dans une vague de spasmes incontrôlés. Souffles saccadés, halètements, respiration bruyante, déglutition, gargouillements intempestifs : une force invisible, intérieure habite son corps tout entier. L’expérience est radicale et nous secoue à notre tour. Tout devient bruits et fureur, corps et batterie à l’unisson. Tout est amplifié : voix, figures grimaçantes, mouvements rampants. Tout est percussif. La pièce s’avère un formidable exercice d’exorcisation de la violence, « celle qui nous entoure, explique Ruth Childs, celle qui se poursuit à travers l’humanité, celle qui nous hante en image et par les récits, celle de notre imaginaire, de nos cauchemars ». Une intention d’une clarté jamais démentie qui nous happe, intriguant et parfaitement maîtrisé.
Des petits bijoux de danse
Danseur et chorégraphe, artiste associé aux Hivernales jusqu’en 2024, Massimo Fusco met à profit sa carte blanche pour proposer des expériences sonores immersives sous forme de salons d’écoute et de projections vidéo. Parmi la constellation d’artistes qui l’accompagnent au sein de sa compagnie Corps Magnétiques, Doria Bélanger présente Joule, une installation vidéodanseconsacrée à la notion d’énergie. Cinq diptyques dont elle signe la réalisation, la direction chorégraphique et la création sonore avec Sourya Voravong. En quelques minutes seulement, chacun concentre l’essence même de la danse, dépasse le visible et l’entendu pour aller au-delà de l’image. D’un côté, des plans fixes sur notre ère industrielle (éolienne, barrage ou panneaux solaires) ; de l’autre, des corps dansants dans des paysages naturels (clairière, cime verdoyante ou plage de sable). Tantôt des plans séquences tantôt des frôlements au plus près de la peau. Les danseur·ses déconnecté·es à l’environnement urbain se recentrent sur leur énergie corporelle sans jamais nous abandonner au bord du rivage. Issue de la formation Coline à Istres et de la Edge Company à Londres, Doria Bélanger réalise un travail d’orfèvre.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
La 45e édition du festival Les Hivernales s’est déroulée du 31 janvier au 18 février à Avignon et alentours.