dimanche 28 avril 2024
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Une Carmen calibrée

Attendue, la Carmen de Jean-Louis Grinda atterrit enfin à l’Opéra de Marseille

On aurait pu s’attendre, ce jeudi 16 février, à une annulation de la première très attendue de Carmen pour cause de grève. Le public, complet comme sur chaque date annoncée, s’est ainsi tendu à l’arrivée d’un des membres du Chœur de l’Opéra de Marseille sur le devant de la scène. La lecture d’un bref texte rappelant l’injustice et l’iniquité de ladite réforme des retraites n’a pourtant recueilli que de rares applaudissements, et de copieuses huées. Rappel désolant de l’uniformité d’un public décidément aisé, et bien éloigné des préoccupations de ses congénères … À moins qu’il ne s’agisse que d’impatience ? Le public marseillais accédait ainsi enfin à cette coproduction lancée dès 2018 avec le Capitole de Toulouse et l’Opéra de Monte-Carlo, et n’avait pas entendu de Carmen depuis 2012 ? Que ce public sans grande imagination se rassure : la mise en scène de Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies d’Orange, qui accueillera à son tour la production cet été, a tout du grand spectacle attendu. Décors monumentaux et costumes d’époque signés Rudy Sabounghi, chorégraphies flamenco menées élégamment par la très jeune Irene Rodriguez Olvera sur l’ouverture de chaque acte … Belle idée d’ailleurs que de faire incarner à cette danseuse âgée de quatorze ans l’âme de Carmen, face à un chœur d’enfants représentant une petite foule déjà fascinée, campée par une maîtrise des Bouches-du-Rhône toujours impeccable. L’orchestre sort également grandi de l’exercice : sa capacité à assurer cette partition complexe et contrainte, de par la finesse de ses traits, avec une précision irréprochable, impressionne. Sous la baguette avisée de Victorien Vanoosten, elle exécute la partition sans accroc, et va jusqu’à lui insuffler une personnalité propre. Tout juste semble-t-elle presser un peu le pas lorsque la fosse préfère, elle, prendre son temps sur certains traits … Il faut dire que le plateau vocal est très généreux : en remplacement d’Amadi Lagha, souffrant, Jean-François Borras livre un Don José aussi sensible qu’inquiétant. Face à lui, la Carmen d’Héloïse Mas se fait sensuelle et déterminée, aussi solide vocalement qu’en proie à une fragilité psychologique qui transparaît de sa performance physique. Jean-François Lapointe a souvent incarné Escamillo : il lui prête, outre son timbre toujours aussi chaud, une pointe de mélancolie venue sans doute de son plus grand âge. Comme lui, nous nous plongeons dans cette histoire qui, à défaut de nous surprendre, saura toujours nous charmer.

SUZANNE CANESSA

Carmen a été joué les 16, 18, 21 février ainsi que les 23 et 26 février
Opéra de Marseille
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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