Le titre du dernier spectacle d’Emmanuel Meirieu, Dark was the night, est dû à celui de l’une des chansons du bluesman aveugle Blind Willie Johnson, mort dans la misère faute de soins (l’hôpital refusa de le soigner en raison de sa couleur de peau). Cependant, en 1977, cette chanson sera gravée sur le disque d’or fixé sur la navette spatiale Voyager parmi les vingt-sept musiques, cent-quinze photographies et sons de notre planète, «tout ce que l’on voulait alors pour témoigner du meilleur de notre terre », à l’adresse de possibles extra-terrestres.
Sur le plateau, la scénographie montagneuse scandée par de hauts troncs dressés comme les colonnes d’un temple antique abandonné, s’orchestre en deux lieux. Côté jardin, il y a les ruches de l’apiculteur François dont les parents, scientifiques, ont contribué à l’élaboration du disque d’or à Cap Canaveral. Ils ont utilisé la voix de leur enfant pour la salutation en français parmi les cinquante-cinq saluts donnés en toutes les langues aux destinataires de ces messages terriens. Côté cour, parsemé de détritus, est situé le cimetière de Blanchette où un homme secondé par son fils recherche en vain la tombe de Willie Johnson.
Catapultage des chronologies
Le temps humain se transcrit par l’avancée de la navette, les milliards de kilomètres correspondent aux années terrestres. La fragilité de l’existence – François est atteint de la maladie de Charcot et voit disparaître peu à peu ses chères abeilles –, la fugacité des traces – il est impossible de retrouver le corps de Billie Johnson – posent la question de notre humanité, de ce que nous laissons, et par-là même de nos actions. Comment apparaissons-nous avec des yeux d’extraterrestre ?
Le texte de la pièce est amorcé avec humour et tendresse par des images projetées sur l’ample dessin coloré du rideau de scène : voici Pac-Man, qui n’existe pas encore lorsque la chanson de Marie-Myriam gagne l’Eurovision en 1977, l’enregistrement saluant les extraterrestres, les rires d’une humanité dont les échos résonnent encore en un catapultage des chronologies. Stéphane Balmino, François Cottrelle, Jean Erns, Marie-Louise, Nicolas Moumbounou et Patricia Pekmezian portent avec intelligence et naturel le texte de Meirieu, ourlé d’un chant sans paroles et hypnotique. Laissant sourdre des mots l’aveuglement des hommes, leurs côtés sublimes et leurs parts d’ombres, dessinant un tombeau (au sens du genre musical qui a fleuri durant la période baroque, pièce monumentale et méditative composée en hommage à un grand personnage) dédié à notre Terre. Bouleversant d’émotion et de justesse !
MARYVONNE COLOMBANI
Dark was the night a été donné dans plusieurs lieux de la région dont le Théâtre Durance, Château-Arnoux-Saint-Auban (15 novembre), le Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (17, 18 et 19), le Théâtre de l’Olivier, Istres (22) et les 24 et 25 novembre à Châteauvallon, Ollioules puis le 29 novembre au Sémaphore, Port-de-Bouc