vendredi 26 avril 2024
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Une enfance chinoise

Dans Le petit garde rouge, François Orsoni regarde cette Chine de Mao à travers les yeux d’un enfant, entre théâtre, danse et dessin

Le metteur en scène François Orsoni retrouve pour la deuxième fois l’auteur et illustrateur Chen Jiang Hong. « J’ai l’exclusivité de cette collaboration », sourit François Orsoni, qui a déjà signé avec Contes Chinois un premier spectacle avec le subtil dessinateur. Le petit garde rouge est l’adaptation de l’album autobiographique de Chen Jiang Hong, Mao et moi, qui raconte à travers les yeux d’un enfant le quotidien de sa famille au cours des divers soubresauts de l’histoire récente de la Chine. On vit à ses côtés la Révolution culturelle (1966) qui bouleverse le précaire équilibre matériel de sa famille, tickets de rationnement, départ du père pour on ne sait où ni pour combien de temps. 

Ampleur majestueuse
Impossible de comprendre à hauteur d’enfant ce qui se passe, le petit Chen s’émerveille des danses du drapeau rouge, récite les psaumes maoïstes. Aucun jugement sur le passé, juste la narration en épure d’une enfance, les personnes qui disparaissent, meurent, partent, restent, les jeux, les complicités. Les bribes de souvenirs s’orchestrent, portés par le narrateur Alban Guyon, sans effet de théâtre, dans la simplicité nue des mots, tandis que les deux sœurs du petit garçon, Lili Chen et Namkyung Kim dansent ce qui serait trop lyrique, trop documentaire, trop savant. Et nous font comprendre les étapes historiques, les débuts de la Révolution culturelle, les manifestations du parti Maoïste, les rêves inavoués, inavouables de liberté, d’indépendance, d’individualisme… À la fin, ce sont les longues manches de l’opéra traditionnel chinois, qui allongent les bras et accordent une ampleur majestueuse aux mouvements, dépassant par leur envergure la mesure humaine et la rend symbolique et universelle.  

Le théâtre, le dessin, la danse, les mots fusionnent. Chen Jiang Hong, en bord de scène dessine, infatigable, laissant glisser au fur et à mesure le papier en rouleau sur le bord de sa petite table, le pinceau trempé dans l’encre de Chine danse lui aussi, élégamment précis. Les traits posés évoquent un arbre, un personnage, se transforment dans leur addition, multipliant les facettes des possibles. Les couleurs s’immiscent ainsi que de légers mouvements, un papillon, un oiseau… Des oiseaux surtout, sans doute les seuls à pouvoir échapper à l’engluement dans lequel sont enfermés les êtres humains. Deux grands panneaux délimitant le mur de scène reflètent cette poésie mouvante, tandis que, visible par transparence, Éléonore Mallo à la création sonore amène finement les bruitages qui constituent de fantastiques paysages sonores. Le cliquetis du petit vélo accompagnant les déplacements est inoubliable ! L’intime se lie au général, à nos images d’Épinal de la Chine maoïste et de la Chine d’aujourd’hui, au cœur de cette pépite théâtrale. L’émotion non feinte de Chen Jiang Hong lorsqu’en conclusion il prend le relais de la parole, achevant la chronologie évoquée par sa « voix d’enfance » de sa voix de grande personne, bouleverse. L’art et la vie se rejoignent ici, indissociables. 

MARYVONNE COLOMBANI

Le petit garde rouge mis en scène par François Orsoni a été joué les 23 et 24 novembre au Jeu de Paume, Aix-en-Provence
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