En 1987 Ingmar Bergman publiait Laterna Magica, autobiographie ou plutôt auto-analyse aux souvenirs désordonnés qui débute par une amorce faussement chronologique « quand je suis né». La mémoire s’orchestre par analogies, pied de nez à la logique implacable de la « pression déraisonnable » imposée par ses parents à la fratrie Bergmann, sans doute parce que famille de pasteur et donc « exposée à la vue de tous » …
Delphine Lanza et Dorian Roussel s’emparent du texte du maître du cinéma, l’adaptent à la scène en un fantastique – presque – seul en scène tenu de bout en bout avec une éblouissante pertinence par Fabien Coquil. Le monologue de théâtre qui ne manque pas d’humour jusque dans les tragédies est complété par des précisions narratives dites par la voix lumineuse de Delphine Lanza. Tandis qu’Ilya Levin, muet, se voit investi du rôle d’assistant à la scénographie. Il déplace ici une chaise, là des plantes, préside à la chute des contre-poids, à l’accrochage des plaques de bois peintes en blanc qui s’élèveront en forêt mouvante d’écrans parmi lesquels le personnage semblera se perdre.
Un enfant pas gâté
Le perpétuel regard d’enfant est en butte à un réel dont les contours se floutent face à l’imagination. Le jeune Ingmar joue un rôle, se pense en personnage de sa propre vie. La complexité de son âme s’avère être la source même de sa création. Il affirme : « je crois être celui [des enfants] qui s’en est le mieux tiré, avec le moins de dégâts, en me faisant menteur. Je me suis créé un personnage qui avait fort peu à voir avec mon véritable moi. Comme je n’ai pas su séparer ma création et ma personne, les dommages qui en découlèrent eurent longtemps des conséquences sur ma vie d’adulte et ma créativité».
« Hypocrite » (donc acteur au sens originel), Ingmar évoque sa vie, ses relations avec sa famille, ses brouilles, ses abandons, mais aussi sa fascination tout petit pour le « cinématographe ». Enfermé dans l’armoire par punition, il allume une lampe de poche qui éclaire le plafond… Sa laterna magica, ancêtre des appareils de projection, devient le titre de son livre, retour aux sources pour mieux éclairer les méandres sans fin de cet itinéraire d’un enfant sans doute pas gâté, mais génial.
MARYVONNE COLOMBANI
Laterna Magica a été joué les 1er et 2 décembre au théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence.