Certes, l’émotion fait partie des poncifs accompagnant la période romantique, mais là, c’en est trop ! Un orage chateaubrianesque s’est abattu l’après-midi du dimanche 14 août sur la commune du Puy-Sainte-Réparade et la soirée épargnée du déluge réservera de bien mauvaises surprises. Une rosée tenace et récurrente a décidé de s’inviter à la fête programmée par le Festival Durance Luberon et se dépose quasi continument sur le piano. L’accordeur fait des miracles, l’instrument sonne juste, mais offre aux artistes une patinoire pour les doigts, l’humidité s’acharnant sur les touches que l’on s’évertue tout au long de la représentation à essuyer. Vladik Polionov, le fabuleux pianiste régulièrement invité par le festival, maître d’œuvre d’adaptations réussies d’opéras pour piano et voix, sourit en épongeant le clavier qui résonne à chaque passage : « ne pensez pas que vous êtes venus pour un concert de Boulez ! ».
On glisse dans le somptueux
Le concert ne manque pas d’attraits, conjuguant le récit mené par Olivier Bellamy, auteur, entre autres, d’un Dictionnaire amoureux du piano et d’un Dictionnaire amoureux de Chopin (éditions Plon). Il relate les éléments marquants autour des œuvres interprétées : souffrance du départ de Pologne pour Vienne alors que son pays natal se révolte contre le pouvoir russe, sensible dans la simplicité intimiste de la Ballade n° 1 en sol mineur opus 23. L’arrivée à Paris, capitale du piano, et très vite l’engouement pour le jeune pianiste soutenu par l’idole qu’est déjà Liszt, et voici les Études, si virtuoses et poétiques (opus 25 n° 23 et 24). On passera pudiquement sur les dérapages et les rattrapages héroïques de Tristan Legris, remarquable pianiste amateur qui se prête au jeu du concert. Il faut plus que de la maestria pour surmonter les obstacles physiques imposés par les variations météorologiques.
Olivier Bellamy vient au secours des prestations noyées en expliquant le drame humide. L’entracte s’évertua à coup de sopalin et autres chiffons à assécher la marée dévastatrice. On retient le prix des cours de piano donnés par le subtil compositeur : vingt francs-or, environ mille euros, sourit le conférencier, Chopin adorait enseigner et l’Europe entière se battait pour bénéficier de ses leçons…
La seconde partie, asséchée, permet aux pianistes de se libérer de l’angoisse des pertes de contrôle, la verve intelligente et sensible de Vladik Polionov se glisse dans la sublime Ballade n° 4 en fa mineur au thème sensible où semblent se nouer des incertitudes existentielles. En bis, les deux pianistes se retrouvent pour le somptueux quatre mains de Rachmaninov, la Barcarolle opus 11. Souffle de la réconciliation dans l’air froid de la nuit.
MARYVONNE COLOMBANI
Concert donné le 14 août, au château d’Arnajon, dans le cadre du festival Durance Luberon.