mercredi 2 octobre 2024
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Dix ans après 

Dans Harka, le réalisateur Lotfy Nathan dresse le portrait d’une jeunesse tunisienne en perte de repères

« Ali m’a parlé d’un endroit, proche de chez nous, au fin fond du désert où un beau jour un lac est apparu de nulle part… C’était un miracle. Dans mon pays, les gens croient à la magie et à ce genre de choses… Mais quelques mois plus tard, on a découvert la vérité. C’était un ruissellement dû à une mine de phosphate. L’eau était devenue noire. Elle était toxique. Finie la baignade ! » C’est par ce conte en voix off, celle d’Alyssa (Salima Maatoug), la plus jeune sœur d’Ali (Adam Bessa) que commence Harka, le premier long métrage de Lotfy Nathan.

Police et contrebande
Aux longs travellings sur de beaux paysages, succèdent des plans serrés, saccadés sur les gestes d’Ali qui remplit des bidons d’essence. Dans les rues de Sidi Bouzid, il les vend illégalement, racketté au passage par des policiers corrompus. Ali survit, couchant sur un chantier, et rêve d’Allemagne, même si son ami essaie de le convaincre de renoncer à partir : « Là-bas ce n’est pas mieux qu’ici et il fait froid ».
Quand Alyssa vient lui annoncer la mort de leur père et que, juste après l’inhumation, il apprend que son frère Skander a trouvé du travail à Hammamet, Ali doit revenir dans la maison familiale, s’occuper de ses sœurs et trouver l’argent nécessaire pour éviter la saisie de leur maison. Contrebande d’essence à la frontière libyenne, traversées dans des paysages de western où les pick-up blancs soulèvent la poussière, fuite quand la police les surprend. Ali n’aura pas l’argent négocié et décide d’aller à Hammamet demander à son frère de les aider. En vain. Ali, de plus en plus désespéré, de plus en plus en colère, impuissant à payer leurs dettes, expulsé de la maison familiale, ne trouve qu’une issue : offrir à ses sœurs un voyage à Hammamet et aller, lui, voir le gouverneur. …En vain.
Dans ce film âpre, tourné en 35 mm à Sidi Bouzid, le réalisateur américain d’origine égyptienne, Lotfy Nathan, pointe les maux de la société tunisienne (chômage, corruption…) à travers l’histoire d’un jeune qui ne s’en sort pas. Et dresse un bilan contrarié des espoirs suscités par le Printemps arabe dix ans après.
Si le scénario n’est pas très original, on apprécie le regard bienveillant du cinéaste sur ses personnages, une mise en scène très maîtrisée, et les images soignées du chef opérateur Maximilian Pittner. Quant à Adam Bessa qui joue Ali, dans presque tous les plans du film, il a su rendre, par un jeu très intériorisé, tous les états que traverse son personnage : accablement, désespoir, colère et tendresse parfois. Un rôle qui lui a valu le prix « Un certain regard » de la meilleure performance au dernier festival de Cannes. À juste titre.

ANNIE GAVA

Harka de Lofty Nathan
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