Le jeune homme ressent douloureusement qu’il n’est pas à sa place dans son école d’ingénieur, cette « voix royale » lui garantissant pourtant une situation enviable.
L’auteure invite son interlocuteur, à l’aide d’une argumentation qui emprunte à la clarté géométrique et à ses franches oppositions entre liberté et esclavage, inconnu et connu… à faire de son doute un viatique précieux pour « devenir ce qu’il est » (Nietzche) et trouver sa propre voie professionnelle.
Le propos relève du conseil, bienveillant et édifiant, en conformité avec le statut des deux protagonistes. L’étudiant peut parvenir à se trouver, et donc à avoir une existence professionnelle pleine de sens, à condition de se prendre en main, de pratiquer un ascétisme courageux : préférer la difficulté au loisir, l’ouverture des possibles à la fixité conformiste, la différence à l’assignation identitaires, etc. Une proximité recherchée et argumentée par l’auteure avec Eliott (le pseudonyme fictif du destinataire) se traduit par une écriture directe, à l’impératif et quasi musicale, avec ses accumulations et ses assonances – « faire sien, s’emparer, souci, souhait, soin » – qui confère à l’écriture l’énergie de la parole vive.
L’échange, se déroulant dans l’entre-soi de l’élite intellectuelle des formations d’ingénieur, ne peut qu’occulter mécaniquement les dimensions politiques et économiques des destinées s’offrant aux jeunes faiblement diplômés d’aujourd’hui. Il est cependant en phase avec l’injonction sociale qui est faite à tous et à chacun, dans les sociétés individualistes d’aujourd’hui, de s’individuer et de se singulariser, injonction paradoxale en ce qu’elle se donne sous la forme d’une épreuve, voire d’une obligation.
FLORENCE LETHURGEZ
Prendre la tangente, Céline Curiol
Actes Sud, 11,90 €