Le texte de Philippe Minyana, adapté d’une métamorphose d’Ovide, est abominable. C’est l’histoire d’un roi qui viole une enfant, sa « petite » belle-sœur, puis qui lui coupe la langue pour qu’elle ne parle pas. Puis d’une vengeance tout aussi abominable, pire encore peut-être, un infanticide et sa dévoration… Venu comme du fond des âges, mélange sidérant de Thyeste et de Médée, le conte parle cependant d’une violence toute contemporaine, sans rien occulter. Pas de suggestion, pas de off ou d’esquive, et pour le spectateur, pas d’échappatoire. La chair craque, les couteaux s’enfoncent, le sang coule, au-delà de l’effroi. Jusqu’au comique, parfois granguignolesque…
Violence et effroi
Car la sauvagerie est rendue supportable par l’énonciation et la mise en scène : le roi, la reine, habitent une forêt profonde, un palais, comme dans les contes pour enfants, et les répliques sont accompagnées de leurs incises, « dit la Reine », « ajouta la Petite », qui distancient le jeu et lui conservent sa forme narrative. D’autant que les personnages passent constamment, rapidement, d’un acteur à l’autre, tous trois habillés de noir, sans costumes ni accessoires. Les décors se projettent sur les voiles et des papiers suggestifs et légers, et cette absence de réalisme, d’incarnation, permet au spectateur de supporter la violence, tout en éprouvant l’effroi.
Les trois acteurs, Nicolas Geny, Xavier Kuentz et Sophie Lahayville, passent avec brio du narratif au dramatique, des personnages féminins aux masculins, des victimes aux bourreaux, de la terreur à la violence, figurant la domination, le désir, la douleur jusqu’à leurs tréfonds, racontant puis jouant dans un jeu d’équilibre très virtuose. L’horreur du viol, du meurtre, est décrite plus que montrée, éprouvée plus que réprouvée. Et puisque la violence extrême les habite tous, ils se métamorphoseront et quitteront la Terre, rendus à leur fondamentale inhumanité.
SARAH LYNCH
La Petite dans la forêt profonde a été joué le 24 novembre au Théâtre des Halles, Avignon