Comme dans une chorégraphie au ralenti, un petit groupe essaie de calmer, retenir, repousser hors d’une maison, une jeune femme déchainée. Margaret (Stéphanie Blanchoud, co-scénariste, actrice et chanteuse) vient d’agresser Christina (Valeria Bruni Tedeschi) sa mère, qui va porter plainte. Une mesure d’éloignement empêche désormais la jeune femme de s’approcher de la maison, des membres de sa famille, non seulement de sa mère mais aussi de ses sœurs, Louise (India Hair) et Marion (Elli Spagnolo). Une frontière d’abord virtuelle, à 100 mètres, que cette dernière, douze ans, va matérialiser, peignant minutieusement une ligne bleue, trace de la limite à ne pas franchir. Elle se charge de veiller au respect de la loi. Une ligne « Maginot » coupant route, parking, champ et même un canal. Margaret ne renonce pas pour autant à rejoindre le cercle familial dont elle est exclue. Elle ne parvient pas à prendre le large, ni à se libérer de la colère qui l’habite. Car elle tape, cogne, se bat tel un animal blessé, privée depuis toujours de l’amour de celle qui l’a mise au monde et l’accuse d’avoir brisé sa carrière de pianiste soliste.
Mère immature
Il lui faudrait guérir de la douleur infligée par une mère immature qui a négligé ses enfants, ne pensant qu’à sa carrière. Une mère qui culpabilise ses filles et met Margaret en quarantaine. Sur la ligne-frontière, Margaret donne des cours de chant à Marion qui se réfugie de plus en plus dans la prière et les chants religieux pour tenir le coup. Christina a perdu 50% de son audition mais personne, ni Marion ni Louise, la sœur cadette sur le point d’accoucher, n’ose le lui dire. Comme elle ne peut plus donner ses cours, le piano est vendu. « On m’a retiré ce que j’avais de plus cher au monde ! », déplore-t-elle. La musique est le seul héritage transmis par cette mère, dysfonctionnelle, fragile, borderline, qui n’accepte pas de vieillir. Impudique, aussi parfois.
Une mise en scène au cordeau, des paysages superbement cadrés par la directrice de la photo, Agnès Godard, une interprétation sans faille, en particulier des actrices, font de La Ligne, le dernier film d’Ursula Meier, un petit bijou. Par petites touches effleurées, la cinéaste nous donne à voir, sans explications psychologisantes, une famille à la marge, nous embarque peu à peu dans son histoire et nous permet de revoir, dans un de ses derniers rôles – celui d’un pêcheur qui donne une chance à Margaret – Jean-François Stévenin, présent dans tous les films d’Ursula Meier dont Home en 2008 et L’Enfant d’en haut (Ours d’argent à la Berlinale 2012).
ANNIE GAVA
La Ligne, d’Ursula Meier En salle le 11 janvier En compétition à la dernière Berlinale