Saisir une époque, une génération. Sur le vif. La Tendresse y parvient admirablement. Huit jeunes gens, que notre inconscient formaté étiquetterait hâtivement dans la catégorie des « jeunes de cités », s’épanchent sur leurs questionnements intimes, leur rôle social ou encore leur héritage familial et culturel dans une société où les représentations masculines sont ébranlées. Noirs, Arabes, Blancs, Arménien ils ne sont pourtant pas si différents. Qu’iels affectionnent le rap, le krump ou la danse classique, qu’iels exposent leur méthode de drague, leur rapport au père, au désir ou à l’argent.
Assignations éculées
Il transpire de cette pièce revigorante le long et documenté processus de création, immersif et collectif, de la metteuse en scène Julie Berès qui s’est entourée à l’écriture et la dramaturgie de Lisa Guez et Kevin Keiss. Un travail auquel l’autrice Alice Zeniter apporte également sa contribution. Quant aux interprètes Bboy Junior, Natan Bouzy, Charmine Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner et Mohamed Seddiki, tous remarquables, ils et elle sont les voix et les corps sensibles d’un collectif humain, entre espoir et fragilité. Et si la pièce démarre par une chorégraphie explosive sur l’incontournable tube marseillais En bande organisée, se poursuit avec quelques échanges parfois lourdingues, elle gagne vite en profondeur et en justesse.
Au fil des conversations, des confessions, La Tendresse révèle sa pertinente observation d’une jeunesse populaire beaucoup moins étanche au mouvement de déconstruction des stéréotypes genrés qu’il n’y paraît. Et de donner à voir, loin des projections fantasmées, une remise en question salutaire d’assignations éculées. Sous les yeux d’une Criée multigénérationnelle approbatrice, pour ne pas dire emballée.
LUDOVIC TOMAS
La Tendresse a été jouée du 11 au 13 janvier à La Criée, théâtre national de Marseille.