On vous épargnera l’allusion à Claude François : l’exposition qui s’ouvre au Mucem est de toute façon fort éloignée des paillettes et déhanchés du disco. Il s’agit plutôt, selon l’un des commissaires, Arnaud Quertinmon, de « gratter le vernis d’Alexandrie ». De s’immerger dans l’historicité de cette ville depuis sa fondation par Alexandre le Grand en 331 av. J.-C., à travers les périodes antique, médiévale, moderne et contemporaine. Un processus qui peut s’avérer frustrant, souligne le conservateur des antiquités égyptiennes et proche-orientales au Musée royal de Mariemont (Belgique) : « La réalité des sciences historiques est ce qu’elle est, fragmentée, incomplète. » Peu de vestiges architecturaux ont passé les siècles : en l’an 365, un tsunami colossal ravageait le site, provoquant un effondrement et une salinisation des sols.
Trésors archéologiques
Qu’à cela ne tienne ! D’autres éléments permettent de se faire une idée de l’importance de la capitale des Ptolémées, qui y régnèrent trois siècles durant (323–30 av. J.-C.). Alexandrie : futurs antérieurs arrive à Marseille, après plusieurs mois d’exposition au Bozar de Bruxelles, forte de quelque 200 œuvres et artefacts prêtés par différentes institutions muséales européennes. Au premier rang desquelles deux belles fresques de Pompéi, Io accueillie par Isis à Canope, inspirées d’un modèle alexandrin, témoins du rayonnement de la cité dans l’Antiquité, et de l’hybridation entre les divinités gréco-romaines et égyptiennes. D’autres pièces ne sont que des reproductions, mais pas moins impressionnantes, telles les mosaïques où se démarque un véritable portrait de chien, que l’on dirait prêt à sauter de ses tesselles pour venir vous lécher la main, bien qu’il ait été réalisé au IIe siècle av. J.-C. afin d’orner la fameuse bibliothèque d’Alexandrie. Ou la maquette du tout aussi fameux phare, septième Merveille du monde. Plus discrètes, les pièces de monnaie finement ouvragées, miniatures délicates, ou encore une exceptionnelle bague en or sur laquelle se lit la titulature d’Antonin le Pieux (86-161), traduite du latin au grec et gravée phonétiquement en hiéroglyphes, racontent une histoire plurielle dans le creuset méditerranéen.
Les incursions des commissaires de l’exposition dans les périodes ultérieures, l’avènement du christianisme, les temps byzantins, arabo-islamiques et modernes… sont moins fournies. Sans doute parce que Nicolas Amoroso, qui épaulait Arnaud Quertinmont, est lui aussi conservateur des antiquités. Il aurait peut-être fallu choisir une amplitude temporelle plus courte, pour ne pas risquer de laisser les visiteurs sur une frustration.
GAËLLE CLOAREC
Alexandrie : futurs antérieurs
Jusqu'au 8 mai
Mucem, Marseille
04 84 35 13 13
mucem.org
Pour aller plus loin, un catalogue qui ravira particulièrement les amateurs d'histoire et archéologie :
Alexandrie – Futurs antérieurs
Co-édition Bozar/Mucem/Actes Sud/Fonds Mercator
35 €
Regards contemporains sur un mythe
Outre sa dimension archéologique, l’exposition met aussi en lumière des travaux d’artistes contemporains
Si le parcours fait la part belle aux artefacts, images et objets premiers, il ouvre également plusieurs parenthèses contemporaines. À travers une sélection d’oeuvres, comme ces trois productions pour le Mucem signées Wael Shakwy, Jasmina Metwaly et Mona Marzouk. Le tout selon un agencement qui alimente le scénario écrit autour de la fondation – histoire et urbanisation – et des pouvoirs d’Alexandrie – intellectuel, religieux, économique, politique. D’origines grecque, libanaise, palestinienne, syrienne ou française, les artistes témoignent du prestige exercé aujourd’hui encore par la cité à travers des œuvres critiques.
Du fantasme au politique
Au croisement de l’histoire et du mythe, Untitled (Seaside Diptych) d’Ahmed Morsi introduit habilement le propos en faisant cohabiter sur la toile figures humaines, poissons et fragments de New York où il vit. Un paysage idyllique pour dire le déracinement, contrecarré par la photographie de Maha Maamoun représentant le tourisme nautique ouvert à une population cosmopolite. Shooting décomplexé d’une réalité sans fard apparue dans les années 1970.
Dans cette même quête de vérité, l’installation Watter-Arm de Jumana Manna, composée de tuyaux en céramique et briques, évoque le dysfonctionnement récurrent des infrastructures hydrauliques urbaines. Dénonciation à peine voilée du délabrement généralisé de cette partie du Moyen-Orient. Autre geste politique fort, celui de Iman Issa dans sa série Materiel, suite anachronique d’éléments inspirés de monuments égyptiens mais déconnectés des personnages représentés ou glorifiés. Une phrase éloquente faisant écho à chaque pièce, telle celle qui surplombe l’obélisque couché : « Material for sculpture representing a monument erected in the spirit of défiance of a large power » (Matière pour sculpture représentant un monument érigé dans un esprit de défiance envers une grande puissance).
Contestataire à sa manière, Haig Aivazian puise son inspiration dans la découverte d’objets archéologiques enfouis au centre de Beyrouth, mis à nu à l’occasion d’un projet immobilier de Jean Nouvel. Spéculation financière, réappropriation des objets d’art, urbanisation galopante, Rome is not in Rome est d’une troublante actualité. Il n’y a donc pas de hasard si l’installation occupe le centre de l’exposition, tandis que film et dessin de Wael Shawky, Isles of the blessed (Oops !… I forgot Europe) clôture de la plus belle manière qui soit l’exposition.En nous interrogeant avec la poésie et le savoir qui caractérisent son œuvre, sur l’histoire des fondements de l’Europe, et, à travers elle, sur le « sempiternel cliché orientaliste de l’imaginaire européen ».
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI