La rentrée des classes approche, rentrée qui s’annonce particulière pour le pré-ado campé avec conviction et tendresse par Théodora Marcadé. Et pour cause, la jeune bouture qui divise encore ses années en deux – il a « 10 ans et demi » – quitte le confort et la sécurité de l’école primaire pour l’enfer annoncé du collège. Les vacances en Bretagne, le soleil, les mouettes et les invectives des copains en tous genres n’y font rien : cet enfant qui commence à ne plus en être un, reste terrifié à l’idée de se retrouver petit parmi les grands. Il rencontre sur son chemin l’hilarant ado Francis, incarné avec délice par l’étonnante Camille Roy,qui l’avertit car il sait de quoi il parle – c’est un grand, il a quatorze ans ! Le collège, c’est, comme redouté, « l’horreur absolue », la fin de l’innocence. Ponctué de poses de hip-hop délicieusement approximatives et de tics de langage gratinés, son précis de survie en cas de racket, de harcèlement, ou tout simplement de situation embarrassante constitue un des grands moments du spectacle écrit et mis en scène par David Lescot. Les nombreuses interventions de la petite sœur, « deux ans et demi : aucun intérêt », valent également le détour. Lyn Thibault, gonflée à l’hélium et impressionnante d’incarnation, prête des traits attachants et un babillage redoutable à cet archétype souvent exploré par la littérature jeunesse, mais rarement avec autant de tranchant. La mise en scène, dépouillée, regorge d’idées comiques qui font mouche auprès d’un public familial réunissant des enfants à partir de sept ans, de jeunes pré-ados mais également leurs parents, hilares – le feu d’artifice récoltera lui aussi son lot de fous rires. J’ai trop peur fourmille également d’idées poétiques étonnantes pour suggérer les différents lieux mais aussi les émotions traversées par ce personnage bien conçu. La plus grande réussite de David Lescot se situe cependant dans la caractérisation du personnage central, dont la balourdise mais aussi la grâce suggère ce temps distinct de mue entre enfance et adolescence, où le tragique n’est jamais loin.
SUZANNE CANESSA
J’ai trop peur a été joué les 7 et 8 février, au théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence.