À l’heure où on parle beaucoup de la crise du système hospitalier et des souffrances du personnel soignant, deux films français, à la 73e Berlinale, nous emmènent dans deux hôpitaux. L’un, Notre Corps, un documentaire tourné à l’hôpital Tenon où Claire Simon a passé six à sept semaines ; l’autre, une fiction, très inspirée par le réel, Sages-femmes de Léa Fehner.
Notre corps
C’est la voix de Claire Simon qui nous fait entrer dans le service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction de l’hôpital : « C’est la productrice Kristina Larsen qui m’a soufflé l’idée d’aller filmer l’hôpital après y avoir passé deux ans. Je voulais filmer un service hospitalier de femmes… Entre chez moi et l’hôpital, se trouve un cimetière. Ça m’a fait rire, mais ça m’a aussi fait peur. » Un prologue filmé en un seul plan pour ouvrir ce film et les portes de l’hôpital où pendant quelques heures nous allons assister à ce qui peut arriver au corps des femmes, de la jeunesse à la mort. Nous assistons ainsi aux entretiens de jeunes femmes qui souhaitent avorter, aux consultations pour une transition de genre, pour des problèmes d’endométriose, d’infertilité, de cancer.
La caméra de Claire Simon s’introduit aussi dans les salles d’opération, filmant tour à tour, une césarienne, un accouchement sous péridurale, de profil, nous montrant en même temps le bébé qui sort et le visage de la parturiente nimbé de lumière. Parcourant de longs couloirs, nous passons, comme dans la vie, d’instants remplis de joie et d’espoir à des moments terribles comme cette scène d’entretien où une jeune hispanique apprend les risques de stérilité après une opération indispensable: la patiente communique avec son médecin à l’aide de l’application Google Traduction de son téléphone portable. Il y a ces scènes extraordinaires de la fécondation in vitro à laquelle on assiste aux cotés d’un stagiaire qui apprend la technique. « Connaître le processus de PMA n’est pas la même chose que le voir », précise la cinéaste. Si Claire Simon filme avant tout les corps des femmes, elle s’intéresse aussi réunions de médecins, les « RCP », où ils discutent et se mettent d’accord sur les interventions. Et soudain, aux deux tiers du documentaire, on retrouve la cinéaste dans une salle d’attente : « Quand le film et la maladie se rencontrent, c’est important de comprendre.» C’est à présent elle, la patiente : elle apprend qu’elle a un cancer du sein, et plus tard, qu’elle va subir une mastectomie. « L’hôpital est un lieu où chacun arrive avec son histoire. Il y a une myriade d’histoires. Une valse folle des destinées. La malade n’a qu’une histoire, la sienne. »
Tourné avec une équipe exclusivement féminine, Notre corps est un documentaire très fort qui nous permet de voir, de comprendre, de mettre en relation mots et images et de réaliser combien la vie est belle et fragile.
Sages femmes
Dès que Sofia (Khadija Kouyaté) et Louise (Héloïse Janjaud),deux amies,prennent leur poste à la maternité, elles sentent, et nous aussi, la tension qui règne dans le service. Une caméra nerveuse les suit, alors qu’elles reçoivent les instructions d’une autre sage-femme exténuée. Sofia veut travailler à la salle de naissance, pas s’occuper du travail de préparation à l’accouchement. Douce et efficace, elle prend des initiatives mais parfois manque d’assurance pour les cas difficiles ce qui lui vaudra d’être affectée à la préparation des accouchements, poste qu’elle refuse. Toutes sont sur les nerfs car le personnel est en sous effectif, il n’est pas rare que chacune se retrouve avec trois accouchements à assurer et quand il faut réanimer un bébé, quand le matériel pour les péridurales tombe en panne, quand une parturiente arrive sans aucun suivi médical, la salle de naissance, ressemble aux urgences. Quand une SDF qui vient d’accoucher se retrouve à la rue et que Valentin (Quentin Vernède), leur colocataire, l’accueille sans leur en parler, la tension monte entre Sofia qui comprend et Louise qui refuse. Et dans le service, le stress est permanent, la fatigue, extrême, poussant certaines à démissionner. « Je ne veux plus maltraiter les parents ! », pleure Bénédicte (Myriem Akheddiou) qui vient d’apporter le corps d’un bébé mort à ses parents abandonnés pendant cinq heures dans une chambre. Léa Fehner a su aussi ponctuer ce film nécessaire et politique de séquences drôles comme la garde de Noël où Valentin apporte un gâteau qu’il a décoré… d’une vulve en sucre ou celle où Louise parvient à chasser de la salle de naissance la mère de Réda (Tarik Kariouh) seul homme sage-femme du service : elle voulait prendre à tout prix les décisions à la place de Souad, sa fille qui allait accoucher.
Ecrit et tourné avec des comédiens sortant du conservatoire d’art dramatique de Paris qui ont construit leur personnage à partir des témoignages d’une dizaine de sages-femmes, Sages femmes est un film sous haute tension comme l’hôpital aujourd’hui. « Ce cœur battant de la maternité, je voulais qu’on puisse le sentir dans le film», explique la cinéaste. C’est chose faite.
ANNIE GAVA, à Berlin
Notre corps, de Claire Simon et Sages-femmes, de Léa Fehner ont été présentés à la 73e Berlinale, qui s’est tenue du 16 au 26 février, à Berlin.