Zebuline. Vous avez mis en place au cinéma Les Variétés les « tickets suspendus ». Pouvez-vous nous expliquer cette démarche ?
Bénédicte Deramaux. Les tickets suspendus fonctionnent sur le principe du caffè sospeso de Naples. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les gens achetaient deux cafés et laissaient le second pour une personne qui viendrait plus tard, que ce café pourrait réchauffer. C’est donc un principe solidaire qui fonctionne sur une caisse communautaire. Les spectateurs peuvent laisser de la monnaie ou une place entière. Parfois ce sont les bénéficiaires qui donnent une partie, avec un tarif proposé par le cinéma plus bas que le tarif plein. C’est pour les gens qui sont dans le besoin, même si c’est une difficulté momentanée. Ce que j’apprécie particulièrement dans cette proposition, c’est que les personnes qui demandent le ticket suspendu, ne doivent donner aucune justification. Il y a à la caisse une tirelire que j’ai fabriquée, originale, qui questionne les gens qui viennent acheter leur billet.
Comment être sûr que ce projet solidaire va bénéficier à des personnes ordinairement exclues du monde du cinéma ?
Cette question-là ne se pose pas. Mais on peut se poser d’autres questions : qu’est ce que nous offre le cinéma ? En quoi le cinéma d’art et d’essai peut-il nous permettre de nous extraire de nos difficultés ? Ce dispositif peut aussi concerner une famille nombreuse pour qui la sortie cinéma serait trop chère. Aujourd’hui, on est tellement pris dans des étaux administratifs, protocolaires…! C’est un principe de confiance. On porte tellement d’estime à la personne qui vient demander pour ne pas se poser la question.
Avez-vous des contacts avec des associations qui sont en relation avec de potentiels bénéficiaires, ou tout se passe-t-il directement à la caisse des Variétés ?
On y a réfléchi. Les propositions de ticket suspendu sont souvent basées sur des partenariats. On y a donc pensé mais cela a démarré sur les chapeaux de roues. Et puis je trouve bien que ce soit hors cadre, de façon que le public le plus large y ait accès. Les tickets ont été mis en place depuis le 1er janvier 2023. On manque donc un peu de recul. Le constat est que la tranche d’âge est autour des 25 ans. Et il y a eu environ 70 tickets suspendus
Y a-t-il d’autres villes qui le pratiquent depuis longtemps et a-t-on déjà des bilans d’un tel dispositif ?
C’est le Méliès à Saint-Étienne qui a lancé ce projet. Certains cinémas indépendants ont suivi [entre 1 500 et 2 000 places suspendues ont été délivrées, pour 190 000 entrées payantes environ, ndlr]. J’espère que cela se multipliera ailleurs. Ce que je trouve intéressant aussi c’est que, alors que la Journée internationale des droits humains est le 10 décembre, depuis 2011, le même jour c’est la Giornata del caffè sospeso, et que le Festival de cinéma des droits humains, le FIFDH, s’est aussi déployé à Naples. Les tickets suspendus sont devenus un symbole.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNIE GAVA