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Welfare à Avignon : une reconstruction du théâtre

En ouverture du Festival d’Avignon, Julie Deliquet transforme Welfare de Frederick Wiseman en cérémonie théâtrale, et la Cour des Papes en gymnase du peuple. Bouleversant

Le documentaire de Wiseman est poignant de vérité. De talent aussi, avec cette caméra qui filme au plus près, ce montage au cordeau, cette façon de susciter les paroles, les émotions, de capter ce moment de l’histoire américaine où tout bascule, où le néo libéralisme de Reagan commence à mettre à bas le système social issu du New Deal. Cinquante ans après 1973, loin de New York, sur une scène de l’ampleur de la Cour, que faire de ces gros plans, de ces émotions, de cette histoire, de ce réel, de cette cinquantaine de trajets particuliers et si datés, si situés ?

Pour faire théâtre, Julie Deliquet transmute cette matière en universaux, regroupe les histoires et fabrique des personnages avec plusieurs personnes. Dramatise le tout en plaçant les histoires dans un espace commun, soumis au regard de tous, qui sont aussi les témoins de tous les autres. Mais garde des costumes très seventies : col roulé moulant, tenue beatnik délicieuse, imprimés, cheveux longs, moustache, favoris et bonnet orange.

Étrangement, ces costumes, comme le décor, gymnase où le matériel sportif est tout autant daté, concourt à l’universel en faisant de ce passé américain un passé commun, déconnecté de la ville qu’on ne voit pas, et connecté à notre enfance ou à celle de nos parents. Et c’est ce système d’écho qui fait théâtre, par une distanciation qui n’est pas brechtienne mais construit comme un degré intermédiaire entre le spectateur et le spectacle, nécessaire à la représentation.

Douleur de la pauvreté

Tout au long de Welfare le public reste éclairé, loin des salles obscures des cinémas, qui invitent  à la perception individuelle et intérieure. Le public forme une communauté, comme les personnages sur scène qui se battent ensemble pour obtenir des aides sociales vitales pour chacun d’entre eux. Et les acteurs sont époustouflants.

Ils portent toute la douleur de la pauvreté. La colère d’une mère de cinq enfants, enceinte, que son mari vient d’abandonner, mais qui ne parvient pas à obtenir un changement de bénéficiaire de son aide sociale. Ses enfants ont faim, elle va accoucher sans ressources.

Comme ont faim l’épileptique sous méthadone, Valérie Johnson dont on a perdu le dossier, madame Gaskin, et ce professeur qui ne peut plus travailler et vole pour manger. Les travailleurs sociaux, le policier, font ce qu’ils peuvent, plus ou moins. Fuient face à la colère, mais s’allient pour mettre dehors le vétéran blanc aux propos violemment racistes.

Par la force et le talent extraordinaires de chacun·e des acteurs les échos avec notre temps se font terribles. Le rejet des Noirs, la faim, la drogue, les femmes violentées, abandonnées, l’appel au meurtre raciste du vétéran, nous concernent directement, public uni face au spectacle d’une société qui se délite. Une société de souffrances que le théâtre ne peut pas sauver, mais qu’il peut représenter pour lutter contre un néolibéralisme aujourd’hui globalisé.

Agnès Freschel

Welfare est donné jusqu’au 14 juillet dans la Cour d’honneur du Palais des papes.
festival-avignon.com
Welfare, le documentaire de Frédéric Wieseman, est visible jusqu’au 23 juillet au cinéma Utopia.
cinemas-utopia.org

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