Le roman entremêle l’histoire d’Alzheimer, le médecin, des considérations statistiques, cliniques et scientifiques sur la maladie et son importance croissante dans nos vies, et le cas de monsieur T., atteint du syndrome, et de sa femme, qu’il a tenté d’éliminer lors d’une crise de démence.
Mathieu Touzé, sans éliminer cet entrelacs, se concentre sur le couple T., après un prologue où la vidéo projette le texte qui se déroule, tandis qu’une musicienne arpège quelques accords de guitare. Cela pose, un peu longuement, le contexte.
Douleur sensible
Puis Yuming Hey entre en scène. Et trois personnages avec lui. La narratrice avec sa voix aigüe et posée, Monsieur T. dépassé, révolté, paranoïaque, violent par moments, cherchant désespérément une issue qui n’existe pas. Et Madame T., qui sent qu’elle glisse dans l’oubli de celui qu’elle aime, ou qu’elle a aimé, qui ne la connaît plus, l’appelle du nom de sa première femme, et veut se débarrasser d’elle.
Toute la douleur des accompagnants est là, dans cette disparition de ce qu’ils furent pour l’autre, dans leur incapacité à le retenir, à le protéger. Yuming Hey, d’un geste du bras, d’une inclinaison légère de la tête, passe de l’une à l’autre, impériale et blessée en Madame, hors de ses gonds et perdu en Monsieur. La douleur de chacun·e devient sensible, celle de ne pouvoir s’échapper vers une Amérique et une femme qui n’existe plus, et celle de disparaitre pour son mari et d’être niée dans son être, tout en devant prendre soin de celui qui la hait.
Alternativement femme et homme, Yuming Hey semble capable de porter toutes les identités, toutes les douleurs, de son corps de danseur qui pose chaque geste, de sa voix transformiste qui n’a besoin de forcer aucun registre. On en garde l’impression étrange d’avoir vraiment vu tous ces personnages sans qu’un costume, un accessoire, un effet sonore vienne appuyer la transformation. Stupéfiant.
Agnès Freschel
« On n’est pas là pour disparaître » est jouée au Théâtre des Halles jusqu’au 26 juillet.