Comment la tragédie grecque d’Antigone, écrite vers 441 avant J.-C., pourrait-elle raconter le combat contemporain du Mouvement des sans-terre (MST) – qui militent pour une meilleure répartition des terres agricoles – dans le nord du Brésil ? Milo Rau réussit à créer un parallèle éloquent à travers une pièce touchante et hautement politique.
Les dialogues de Sophocle se mélangent avec les revendications des militants de l’État brésilien du Pará. Kay Sara, figure internationale de la lutte du MST, est présente à l’écran. C’est elle Antigone, qui crie la mort de son frère tué par la police lors du massacre de 1996 avec dix-huit autres paysans. Il faut dire qu’ils sont nombreux les Périclès brésiliens à mourir pour leurs combats dans l’impunité générale.
Scène et images
Milo Rau utilise trois écrans que se plient et se déplient au fur et à mesure des scènes. Une disposition qui permet un dialogue entre les comédiens sur scène et les activistes brésiliens filmés. Brésiliens et Flamands jouent ensemble par écran interposé. La pertinence de la vidéo est moins évidente lorsque les interprètes rejouent exactement la même séquence que l’on voit en vidéo, finalement plus forte à l’écran que sur scène.
Les parties filmées sont parfois teintées d’un occidentalo-centrisme gênant. Les comédiens débarquent par exemple en Amazonie pour rejouer en flamand la scène de Créon et Hémon dans la tribu amazonienne de Kay Sara, au milieu d’un public qui ne comprend pas ce que disent ces comédiens venus d’Europe interpréter une tragédie grecque.
Au-delà, chaque personnage de la pièce de Sophocle trouve son écho dans ce nouvel environnement. La mythologie et la réalité se fondent. Tirésias, interprété par un philosophe local, donne une prédiction du changement climatique et des signes de la souffrance de la terre. Le suicide d’Antigone résonne avec les suicides des jeunes indigènes brésiliens qui ne trouvent pas leur place dans ce monde moderne.
La scène la plus forte de la pièce, la reconstitution du massacre de 1996 à sa date anniversaire, coupe le souffle. La troupe a réuni sur les lieux comédiens et activistes du MST, dont des témoins des événements. Ce n’est plus seulement du théâtre, mais une vraie lutte collective à laquelle assiste le spectateur.
Rafael Benabdelmoumene
« Antigone in the Amazon » se joue à l’Autre Scène (Vedène) jusqu’au 24 juillet.