Le roman de Ray Bradbury compte parmi les plus célèbres du domaine de la science-fiction, y compris par ceux qui ne l’ont pas lu. Plus nombreux sont ceux qui l’ont découvert à travers l’adaptation de François Truffaut, signée en 1966, soit treize ans après la parution du best-seller. Comme avec toutes les dystopies de cette époque, on est frappé par son actualité – montée des fascismes, des inégalités sociales, du virtuel, de la guerre – mais aussi par ce qui n’a pas été anticipé, en particulier au sujet de la place des femmes et des racisés.
Ainsi la charge que l’auteur signe à l’encontre des digest et autres résumés synthétiques prônés par l’audiovisuel, déclamée avec conviction par Stéphane Pastor, sonne un peu en décalage avec le dispositif. Celui qui pousse la troupe du Badaboum Théâtre à transposer pour la scène ce texte très précurseur en son temps, mais décalé 70 ans plus tard. Pour les exemples de livres « dangereux » bannis par cette société totalitaire, dont La Case de l’Oncle Tom perçu par Ray Bradbury comme un brûlot anti-esclavagiste, quand sa réception aujourd’hui est tout autre ; ou pour ceux qu’ambitionnent de sauver les marginaux en les apprenant par cœur, qui incarnaient alors la modernité, mais n’évoquent aujourd’hui que le siècle dernier, exclusivement masculin…
Le goût du théâtre
Cela est d’autant plus dommage que la mise en scène d’Anne-Claude Goustiaux ne manque ni d’idées, ni de pertinence, et qu’une très légère adaptation de ces références suffirait en actualiser sa création, très ambitieuse ! Le goût du théâtre et du romanesque transpirent de cette pièce rythmée par l’électro joliment rétrofuturiste de Phabrice Petitdemange. Les voix non amplifiées des comédiens nous parviennent de part et d’autre du parc, rappelant l’essence d’un théâtre sans artifice et affectation. Face au Montag troublé incarné avec tendresse par Frédéric Schulz Richard, les personnages campés avec une énergie communicative par Stéphane Pastor, Sophie Pichon et Peggy Péneau font mouche – mention spéciale à l’épouse apeurée maîtrisée à la perfection par cette dernière. De quoi redonner de la saveur, sinon à la science-fiction et à la dystopie, à ce goût-là du jeu.
Suzanne Canessa
« Fahrenheit 451 » est rejoué ce vendredi 28 juillet au square Labadié et mardi 22 août au Jardin Benedetti (Marseille).