Cristi Piui, révélé en 2005 par La mort de Dante Lazarescu a été, depuis 18 ans, multi primé, membre du jury à Cannes, Berlin, Venise. Pourtant, malgré cette reconnaissance critique, ses films – souvent plus longs que le format habituel – peinent à gagner un large public. Rien de difficile pourtant dans ce cinéma passionnant, radiographie – voire autopsie –, de la société roumaine (et au-delà). Trois ans après Malmkrog, vertigineuse mise en scène des Trois Entretiens de Soloviev sur la guerre, la morale et la religion, son dernier film MMXX (réalisé en 2020) sort sur nos écrans, le 1er novembre.
Le film, en quatre chapitres titrés, se donne pour cadre quatre lieux différents. Le cabinet d’Oana Pfifer pour une séance de thérapie où la praticienne semble plus déstabilisée que la patiente. Une cuisine où le frère de Oana, Mihai Dumitru, despotique, égoïste, pique-assiette, organise les préparatifs de son repas d’anniversaire familial, tandis que sa sœur gère à distance les problèmes d’une amie en train d’accoucher seule. Une salle de repos dans un établissement hospitalier où le mari d’Oana, Septimiu Pfifer entre deux appels de détresse, se fait un test PCR en écoutant distraitement l’histoire tarentinesque dans laquelle son copain ambulancier s’est autrefois trouvé piégé. Enfin, une pièce presque nue dans un hameau rural où pendant un enterrement, l’inspecteur Narcis Patranescu, perturbé par le suicide récent d’un collègue, interroge une femme impliquée dans un sordide trafic pédocriminel.
Quatre moments cousus entre eux par les images en plans serrés d’herbes folles dans lesquelles des objets disparates ont été éparpillés comme des indices liés aux personnages ou aux fictions, pour les Petits Poucets que nous sommes. Quatre récits dans lesquels naissent d’autres récits, et où les protagonistes, confrontés par leurs professions à la maladie, au mal, aux errances individuelles et collectives, n’échappent pas à leur contagion, dans le contexte si étrange de l’ère de la Covid, en cet an de disgrâce MMXX (2020).
Chorégraphie d’appartement
Dans une mise en scène virtuose, la parole passe d’un personnage à l’autre dans un dispositif le plus souvent statique : chez la psy, deux fauteuils face-à-face (dont un Poltrona-Frau copie d’un modèle de la marque de luxe, est-il précisé). Chez les ambulanciers, un lit et un sofa perpendiculaires. Chez la suspecte de vente d’enfants, une chaise et un canapé. Espaces contraints, privés, où le masque prophylactique tombe, se déclinant dans la profondeur de champ – portes, couloir, entrées. Plans séquences immersifs, petits morceaux de bravoure à l’instar de cette séquence où Oana, téléphone collé à l’oreille, sans cesser de mener deux ou trois conversations à la fois, fouille fébrilement toute sa cuisine, semblant se cogner aux murs invisibles d’une aliénation. On a souvent loué « la chorégraphie d’appartement » de ce cinéaste et sa représentation caustique de la comédie humaine comme un ballet burlesque. L’humour grinçant de Cristi Piui n’est jamais absent tandis que s’élèvent ici, sublimes, les airs de la Traviata et les prières des Requiem. « Le cinéma, pour moi, c’est le médicament qui me permet d’extraire de mon corps, le caillou qui me fait mal », a pu dire le réalisateur. Une catharsis réussie et partagée.
ÉLISE PADOVANI
MMXX, de Cristi Piui En salles le 1er novembre