Sans qu’on s’en rende vraiment compte, le spectacle a déjà commencé, salle allumée. D’ailleurs, Michel Schweizer, artiste de la bande du Zef, arrive et rejoint le danseur et acrobate Mathieu Desseigne-Ravel sur scène. Un metteur en scène qui se voit plutôt comme un organisateur de rencontres, et dont les précédents spectacles Cheptel, Cartel et Bôpeupl sont déjà passés sur cette même scène. Des spectacles en forme de vraies-fausses conférences, accompagnées souvent par de la danse. Et par des présences, des prises de paroles déjouant la plupart des attendus associés à ce type de proposition artistique. Là, il s’agit de frontières, de limites, de fil barbelé, de discours sécuritaires et commerciaux, de corps et de vies interdits de passage : Nice Trip est en fait la version augmentée de Bâtards, proposition courte créée en 2017 au Festival d’Avignon dans le cadre des Sujets à vif.
Nature et découvertes
Le plateau du Merlan est recouvert d’un plastique blanc, accueillant une urne, un projecteur monté sur trépied, quatre petits panneaux de 50 cm haut, sur lesquels sont collés des photographies de fil barbelé, un caisson en contreplaqué monté sur roulettes, siglé Nature et découvertes. Dans ce paysage se déploie un discours truffé d’éléments de langage marketing autour de la mise au point du fil barbelé, d’inspiration végétale, inventé par un français, puis la mise au point du Concertina Razor, et l’invention toute récente d’une « clôture végétale à haute valeur environnementale, un maillage solidaire de plusieurs arbustes épineux, proposant croissance verte et dissuasion positive ». On croit rêver, surtout que le décalage ironique est toujours perceptible dans le spectacle, notamment à travers un recours à l’IA au résultat plus que surprenant. Mais non, ça existe vraiment, c’est réel, mis au point par une start-up française. Un autre discours, enregistré, pseudo-scientifique, est diffusé, renforçant le marketing sécuritaire, justifiant la séparation comme garantie du développement de la vie. Ça, c’est de l’intox naturaliste.
Crissements
En contrepoint, la danse de Mathieu Desseigne-Ravel, toute en crissements et en contorsions impressionnantes autour des panneaux de barbelés, va donner la mesure de la violence de l’impact sur les corps de ces discours policés jusqu’à l’écœurement, truffés d’éléments de langage dégoulinant de fausse bienveillance, cherchant à éliminer toute possibilité d’opposition. Un micro circulera dans le public, pour recueillir des réactions, qui donnera l’occasion à un troisième protagoniste, jeune adolescent (Abel Secco-Lumbroso) d’entrer en scène, troublant le duo par sa présence. Duo qui l’accompagnera dans l’invention de son cheminement, notamment à travers un moment de danse au sol, tout en portés, avec Mathieu Desseigne-Ravel, très beau.
MARC VOIRY
Nice Trip était présenté les 18 et 19 octobre au Zef, scène nationale de Marseille