Il était très attendu. Comment Nanni Moretti, cet immense réalisateur italien de 70 ans, auteur de notamment de Journal intime ou La Chambre du fils (Palme d’or en 2001) allait-il s’emparer de la scène ? Pour s’y atteler, il a choisi deux courtes de pièces de l’écrivaine italienne Natalia Ginzburg Dialogo et Fragola e panna, réunies sous le titre Diari d’amore.
On commence donc avec Dialogo. Sur un lit, un couple se réveille. Entre les deux, un dialogue s’installe où l’on parle de tout et de rien : de travail, qu’ils n’ont pas ; des livres, que monsieur écrit mais qui ne se sont pas édités ; de la famille, que l’on dénigre… Lui est bouffon, elle aussi, les deux se parlent mal, surtout lui, mais de cette bouffonnerie nait d’irrésistibles moments comiques, portés avec finesse par Valerio Binasco et Alessia Giuliani. Au fil des répliques, on comprend qu’on a affaire à un couple de bourgeois fainéants qui ne s’aiment pas. Même quand elle lui avoue le tromper avec son meilleur ami, il en est presque indifférent, s’étonnant que son ami puisse la choisir, alors qu’il aime d’habitude « les belles femmes ». L’ensemble brosse un portrait acide de la bourgeoisie, débordant de tromperies, de bassesses et d’hypocrisie, dans un texte parfaitement ciselé, soit autant de marqueurs que l’on retrouve dès la pièce suivante.
On change de décor. Nous voici dans un grand salon bourgeois d’une maison de la campagne romaine. Débarque Barbara, qui se présente à la servante (formidable Daria Deflorian) comme la cousine des propriétaires, Cesare et Flaminia. On apprendra qu’elle est en fait la maîtresse de Cesare et qu’elle a fui son appartement où son mari la battait. La jeune femme en détresse ne trouvera de réconfort ni de la part de Flaminia, pour qui les aventures de son mari ne sont pas secrètes, ni de Cesare, qui ne dédaigne même pas la voir. Elle est finalement envoyée chez des religieuses, d’où elle s’enfuira, et dont on ne connaîtra pas les suites de l’aventure. Dans cette austère maison, de l’humanité se dégagera seulement quand Flaminia dira tout le mal qu’elle pense de Cesare. Des mots violents, puissants, mais comme dans la pièce précédente, le mari ne semblera pas particulièrement affecté par la diatribe de sa femme, préférant invoquer la « fatigue nerveuse » dont ils seraient tous atteints.
Mais où est Nanni ?
Alors oui, si ces deux pièces traversent les Alpes, et remplissent trois jours d’affilée le Théâtre de La Criée, ce n’est malheureusement pas pour le seul talent d’écriture de Natalia Ginzburg. Mais bien pour le metteur en scène, Nanni Moretti, dont tout le monde attendait de voir les premiers pas en tant que metteur en scène. Mais de mise en scène il en est finalement peu question. Avec Dialogo et Fregola e panna, c’est avant tout le verbe qui est mis en avant. Alors que l’on pourrait reprocher au réalisateur une forme de nonchalance dans sa mise en scène, on retiendra plutôt son goût pour la sobriété et son humilité. Plaçant ainsi les textes forts de l’autrice à leur juste place, sans leur faire d’ombre. On notera aussi les merveilleuses interprétations des acteurs·ices dont Nanni Moretti n’est certainement pas étranger.
Avec ces deux pièces, il donne aussi à penser : que dit de notre époque le regard que l’on porte sur ces deux textes écrits en 1966 et 1970, qui mettent en scène les rapports hommes-femmes, au cœur de nos préoccupations contemporaines. Certains auront noté que le public ne riait pas toujours de concert : d’aucuns s’esclaffant aux bouffonneries misogynes des personnages, à d’autres de s’en étonner. Nanni Moretti, lui, ne s’en préoccupe pas. Il se fait simplement passeur d’histoires, sans artifices, jugements, ou morale : au public de cogiter.
NICOLAS SANTUCCI
Diari d’amore a été donné du 15 au 17 décembre à La Criée, théâtre national de Marseille.